La règle édictée par l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle est au centre de cette décision. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance de ses prérogatives d’auteur.
Au cas particulier, Monsieur X. journaliste de son état, reprochait à la société S., éditrice du magazine Historia, d’avoir diffusé, sans son consentement, certains de ses articles sur un site internet et d’en avoir cédé les droits à un tiers. Monsieur X. a alors assigné la société X. en contrefaçon de ses droits d’auteur, atteinte à son droit moral.
Par arrêt du 11 mai 2012, la Cour d’Appel de Paris a fait droit à ses demandes, en jugeant notamment :
- Que la société S. avait porté atteinte au droit moral de M. X… en raison de la reproduction de ses articles sur le site internet «Historia.Fr » sans mention de son nom ;
- Que la société S. avait porté atteinte aux droits de M. X. en raison des nouvelles éditions de ses articles dont certains sur le site internet «Historia.fr», et d’autres dans la version papier de la revue brésilienne Historia.
Les moyens au soutien du pourvoi formé contre cet arrêt reprochaient à la Cour d’appel de Paris d’avoir retenu l’atteinte au droit moral de l’auteur d’une part, et au droit de reproduction d’autre part.
1/ Sur le terrain du droit moral, l’argumentation de la société S. était à double détente.
Utilisant l’argument bien rodé de l’absence d’originalité de l’interview, la société S. soutenait que les articles reproduits sans autorisation sur le site «Historia.fr» n’étaient constitués que d’entretiens (Chirac : grands patrons et grands commis ; Mitterrand : les faveurs du prince ; de Gaulle : insensible à la flatterie). Qu’ainsi, sous le titre était inscrit le nom de l’auteur (personne interviewée) et, en bas, « propos recueillis par M. X… ».
Dès lors, elle faisait valoir que faute pour Monsieur X. de démontrer qu’il avait mis en forme les informations livrées par l’interviewé pour bénéficier du droit d’auteur, il ne pouvait se prévaloir de la violation de son droit moral de l’auteur.
L’argument était habile, la jurisprudence n’étant pas tranchée sur la question. En effet, en matière de paternité de droits sur les interviews, les décisions de justice sont partagées et ont retenu 3 solutions (sur cette question, voir Jean-Marie TENGANG, Le droit d’auteur d’entreprise : Essai sur la dépersonnalisation du droit d’auteur, Thèse de doctorat 2001, Université de Bordeaux, Faculté de droit, Editions Universitaires Européennes, page 37) :
- Lorsque le journaliste a rédigé les questions, remanié les réponses, les juges décident que son interlocuteur n’a, en aucune manière, participé à l’élaboration formelle de l’œuvre, et lui attribuent la paternité de l’œuvre ;
- Lorsque l’interviewé a préparé ses réponses, s’est accordé le droit de supprimer certains passages de l’interview alors que dans le même temps, le journaliste n’a fait que poser des questions banales, n’a pas participé à la construction formelle des réponses, c’est à la personne interviewée que les droits seront dévolus ;
- Lorsqu’enfin l’interview prend la forme d’un dialogue où chacun revêt ses idées sous une forme qui lui est personnelle, il n’est pas impossible que les juges reconnaissent la qualité de coauteur au journaliste et à la personne interviewée.
Au cas particulier, la Cour retient l’originalité de l’ouvre, et en attribue les droits à M. X., aux motifs qu’il «avait retranscrit les entretiens en cause sous une forme littéraire, en ménageant des transitions, afin de donner à l’expression orale une forme écrite élaborée, fruit d’un investissement intellectuel, en sorte que les articles litigieux étaient éligibles à la protection conférée par le droit d’auteur».
Les illustres personnalités interviewées par Monsieur X. n’avaient en rien contribué à la création des œuvres, de sorte que la reproduction de ses articles sur le site internet «Historia.Fr », sans son autorisation et sans mention de son nom, portait atteinte à son droit moral.
2 Sur le terrain de la violation du droit de reproduction, la société S. invoquait la loi du 12 juin 2009 (loi n° 2009-669) instaurant une présomption de cession des droits des journalistes au profit de l’employeur, pour réfuter l’atteinte aux droits de Monsieur X.
La Cour balaie cet argument, en appliquant simplement les règles de conflit de lois dans le temps. Les articles de presse litigieux ayant été rédigés entre janvier 2005 et avril 2009, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 12 juin 2009, la Société S. ne pouvait pas invoquer les dispositions favorables de cette loi nouvelle.
Elle applique ainsi le principe de la spécialité des cessions, principe cher au droit d’auteur, qui veut que la cession des droits ne vaut que pour les modalités expressément prévues au contrat (sur la dévolution des droits d’auteur, v. également Jean-Marie TENGANG, op. cit. p. 125 et suivantes.)
Il en résulte que Monsieur X. n’ayant cédé ses droits à la société S. que pour la version papier du magazine Historia, les nouvelles éditions de soixante-treize articles dont soixante-six sur le site internet «Historia.fr» et de sept autres dans la version papier de la revue brésilienne Historia constituait une atteinte au droit de reproduction de Monsieur X.
L’atteinte était d’autant plus caractérisée que la société S. avait reproduit certains de ces articles dans l’édition brésilienne du magasine Historia, ce qui à l’évidence excédait les limites de l’aire géographique que Monsieur X. avait en vue lorsqu’il avait autorisé la diffusion de ses articles dans la version française du magazine.
La solution est dès lors sans surprise.
Jean-Marie TENGANG
Docteur en Droit – Avocat à la Cour