La garantie autonome et la délimitation des responsabilités contractuelles et délictuelles étaient au menu de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 18 mai 2016, et c’est une banque qui a payé l’addition salée.
En l’espèce, la société Groupe Bernard X…(GBT) s’est vu allouer d’importants dommages et intérêts par un tribunal arbitral, dont la sentence est discutée. Ceux-ci lui ont été versés par ses liquidateurs judiciaires, à condition qu’une garantie à première demande soit fournie à leur profit, à concurrence des créances discutées et des frais de justice. La banque Société générale émet alors cette garantie à pour une durée devant initialement expirer le 8 juillet 2010. Or, par une pratique contractuelle constante, les parties ont prorogé à plusieurs reprises cette garantie. A chaque fois, les liquidateurs et la société GBT mettaient en œuvre la garantie juste avant de demander sa prorogation à la banque, de sorte que les délais prévus n’étaient jamais respectés. Au terme d’un dernier accord, il a été entendu que la garantie qui devait expirer le 27 juin 2013 serait prorogée d’abord jusqu’au 30 juin 2013, puis au-delà, pour une durée qui restait à déterminer.
Pourtant, lorsque les liquidateurs de la société GBT mettent en jeu la garantie par une lettre adressée à la banque le 28 juin 2013, cette dernière soutient que l’appel en garantie est tardif, et constitutif de l’exercice d’une option, écartant ainsi le dernier accord de prorogation jusqu’au 30 juin, en application de la règle « payer ou proroger ». Cette analyse n’a pas été retenue par la cour d’appel de Paris, qui, dans un arrêt du 18 septembre 2016, a estimé que la banque avait commis une faute dont elle devait réparation aux liquidateurs.
Cour_d’appel,_Paris,_Pôle_5,_chambre_6,_18 sept. 2014
La banque forme alors un pourvoi en cassation, en invoquant une violation à la fois de l’article 1382 et de l’article 1134 du Code civil (respectivement articles 1240 et 1104 nouveaux du Code civil). Il est alors question de savoir d’une part si la garantie à première demande peut être valablement prorogée alors même qu’elle a été mise en jeu par son bénéficiaire, et d’autre part, si le garant peut être reconnu fautif lorsqu’il s’abstient de proroger la garantie alors même que les volontés des parties étaient déjà clairement fixées sur ce point.
La chambre commerciale de la Cour de cassation répond positivement à ces deux questions. Parce que les parties avaient adopté une pratique contractuelle par laquelle les demandes de mise en œuvre de la garantie doublaient de façon systématique les demandes de prorogation, la lettre du 28 juin 2013 ne faisait pas obstacle à ce que la garantie soit prorogée jusqu’au 30 juin 2013 d’abord. Ensuite, parce que la rencontre des volontés était non équivoque quant à la prorogation de la garantie, dans un premier temps jusqu’au 30 juin 2013, puis au-delà pour une durée indéterminée, la banque a causé un préjudice aux liquidateurs qu’elle doit réparer, l’indemnisation s’élevant alors, sans atteinte à l’autonomie de la garantie, à une somme identique à celle qui était couverte.
De prime abord, cette solution peut étonner : une garantie à première demande dont la mise en œuvre a été renouvelée n’est en effet pas tout à fait conforme à la nature de cette sûreté. Ce n’est que sous l’angle de la pratique contractuelle constante et d’une forme de loyauté contractuelle que la solution s’explique, dans un esprit tout à fait conforme à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
Le fait que la demande de paiement se trouve ici dépourvue d’effet (I) explique ainsi logiquement, au vu de l’attitude des parties en l’espèce, que le refus de prorogation de la garantie ait été reconnu fautif (II).
I. Une demande de paiement dépourvue d’effet
Aux termes de l’article 2321 du Code civil, la garantie à première demande s’inscrit dans la liste des garanties autonomes. En règle générale, elle ne suit pas l’obligation garantie, de sorte que sa mise en œuvre n’est subordonnée à aucun évènement particulier. Aux termes de l’alinéa 2 néanmoins, le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre. Au cas particulier, rien de tout cela. Les parties étaient convenues d’une curieuse pratique de prorogation de la garantie (A), au grand mépris des principes directeurs de cette sureté (B)
A. Une pratique contractuelle curieuse, mais établie entre les parties
Comme exposé supra, une pratique constante s’était installée entre les parties, dans un schéma fort simple A chaque fois, les liquidateurs et la société GBT mettaient en œuvre la garantie juste avant de demander sa prorogation à la banque, de sorte que les délais prévus n’étaient souvent pas respectés.
Entre le 9 juillet 2009, date de l’émission de la garantie, et le 28 juin 2013, date non contestée de la dernière échéance, les commentateurs ont noté pas moins de 10 demandes de paiements avec autant de demandes de prorogations : la garantie émise le 9 juillet 2009 n’étant valable que jusqu’au 9/7/2010, elle a été prorogée jusqu’au 9/7/2011. La garantie a ensuite fait l’objet de demandes de paiements, qui étaient doublées d’autant de demandes de prorogations.
La demande du 26 avril 2012 ne faisait état que d’une garantie à hauteur de 15 109 000 €, en raison d’un versement de 391 000 effectué le 28 mars 2012 entre les mains des liquidateurs. C’est pour la même raison, compte tenu des paiements intervenus entre temps, que la demande de paiement ultime du 25 juin 2013 ne portera que sur la somme de 9 547 000 €.
Hélas, la banque refusait de payer ou de proroger, au mépris du principe jusqu’alors acquis entre les parties.
Ce refus était-il fautif pour autant ? Il semble que la demande de prorogation ait été tardive, mais la banque ayant peiné à caractériser ce retard, l’argument a été écarté.
- B. Une pratique contraire à la logique des garanties à première demande
En l’espèce, la pratique était contraire à la convention conclue entre les parties.
Sur le contrat, l’examen de la garantie révèle ainsi qu’à l’origine, il ne s’agissait pas d’un engagement à durée indéterminée comme pourrait le laisser accroire la pratique de « payer ou proroger »… En effet, l’article 2 – durée – de la convention du 9 juillet 2009 prévoyait que l’échéance du 9 juillet 2010 pouvait faire l’objet de deux prorogations de une année chacune.
Le contrat prévoyait que la mise en œuvre de cette prorogation devait intervenir au moins 3 mois avant le TERME. Le contrat ne prévoyait pas l’alternative de payer ou de proroger.
Postérieurement au 9 juillet 2011, TERME contractuel ultime, les parties auraient-elles convenu de la pratique de « payer ou proroger », pour maintenir le contrat en vie ?
Une réponse positive s’impose, au regard des énonciations de l’arrêt. La pratique serait alors contraire aux énonciations contractuelles, et à la logique des garanties à première demande.
Sur la logique de cette sureté, et conformément à l’article 48-3 (D. n° 72-678, 20 juill. 1972), la garantie intervient en général sur les seules justifications présentées par le créancier à l’organisme garant, établissant que la créance est certaine et exigible et que l’agence garantie est défaillante, sans que le garant puisse opposer au créancier le bénéfice de division et de discussion.
La mise en œuvre de la garantie, qui se matérialise par une demande de paiement, n’aurait-elle pas pour conséquence de la rendre caduque, de sorte que la promesse de renouvellement de la garantie devenait sans objet précisément en raison de cette demande de paiement ?
C’est ce que la banque a essayé de plaider pour soutenir la caducité de la garantie. La réponse de la Cour à ce moyen est tirée non pas des règles généralement appliquées en matière de garantie à première demande, mais de la pratique entre les parties : « la dernière demande en paiement ne pouvait être analysée comme l’exercice d’une option consistant dans le refus de se prévaloir du renouvellement de la garantie au-delà du 30 juin 2013, antinomique d’une demande de prorogation, et que, tant pour les liquidateurs que pour la banque, elle n’était pas destinée à produire un quelconque effet»
La banque aurait-elle eu plus de succès en se prévalant des exceptions figurant à l’alinéa 2 de l’article 1321 du Code civil : « Le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre » ? C’est ce qu’elle a essayé de faire en soutenant dans son troisième moyen que les liquidateurs pourraient s’exposer à un recours du donneur d’ordre s’ils sollicitaient la mise en œuvre de la garantie de manière indue.
Pour rejeter ce moyen, la Cour observe, eu égard au caractère autonome de la garantie à première demande, que la Cour d’Appel n’avait pas à constater la défaillance du donneur d’ordre, pour allouer aux liquidateurs une indemnité destinée à les replacer dans la situation dans laquelle ils se seraient trouvés si, en l’absence de faute de la banque, la garantie avait été prorogée au-delà du 30 juin 2013.
Il faut dire que les exceptions visées à l’alinéa 2 de l’article 1321 sont très difficiles à mettre en œuvre, puisque précisément, le garant ne peut opposer au créancier le bénéfice de division ou de discussion On mentionnera pour mémoire quelques décisions qui avaient invalidé la mise en œuvre d’une garantie à première demande soit en raison de la fraude (Cass. Com. 18 décembre 1990), soit en raison de l’abus de droit (Com. 20 janvier 1987, Bull civ. IV, p. 13 ; CA Paris, 17/06//87, D. 1988, somm. 245…). Il n’est pas dès lors pas étonnant que dans l’affaire jugée le 18 mai 2016, l’argument de la banque tiré d’une mise en œuvre indue de la garantie, ait été écarté.
C’est donc le refus de la banque de proroger la garantie qui est jugée fautif.
II. une faute résidant dans le refus injustifié de prorogation de la garantie
Le refus de proroger un engagement est en principe libre. Mais en l’espèce, un usage contractuel a été établi par les parties, et surtout un accord de volonté avait déjà été fixé quant une nouvelle prorogation de la garantie. La banque est donc fautive, quoique la caractérisation de sa faute n’aille pas sans soulever des difficultés (A). De même la sanction retenue pouvait être interrogée (B).
A. La caractérisation de la faute
Pour comprendre comment la faute a pu être constituée par le refus de la prorogation de la garantie, il est nécessaire de mesurer l’impact des comportements contractuels en l’espèce. Conformément aux principes qui sont aujourd’hui défendus dans les principes européens du droit des contrats (voir par exemple l’article 1.9 des principes UNIDROIT), un usage contractuel semble pouvoir fonder la loi des parties, et les obliger ainsi à se conformer à leur habitude.
Mais ici, la chambre commerciale de la Cour de cassation relève qu’outre cette habitude contractuelle, il existait une rencontre des volontés « ferme et définitive » sur la prorogation. Dès lors que c’est bien cette rencontre des volontés qui fait le contrat dans notre système consensualiste, et parce que l’avant-contrat est bien en fait un contrat à part entière, l’engagement de la banque et des liquidateurs devait être regardé comme doté d’une pleine et entière force obligatoire. Il faut relever pourtant que ce n’est pas une responsabilité contractuelle qui est retenue, quoique l’article 1134 soit en jeu, mais bien une responsabilité délictuelle.
L’un et l’autre de ces éléments, le comportement habituel des parties et la rencontre de leurs volontés, ne suffisait-il pas à obliger la banque, et partant, à caractériser sa faute ? La seule rencontre des volontés est un argument de droit qui pouvait à lui seul expliquer le caractère obligatoire de la prorogation de la garantie en l’espèce. Tout se passe néanmoins comme si, hésitant à faire de la non prorogation une faute contractuelle, la chambre commerciale avait préféré en faire une faute délictuelle fondée sur l’article 1382 du Code civil. La prorogation n’ayant pas eu lieu, nous nous trouverions ici en dehors du champ contractuel, quoique le contexte contractuel soit celui de la faute.
C’est pourquoi, au-delà du non respect d’une obligation de loyauté contractuelle, la Cour de cassation constate qu’il y a eu, de la part de la banque, une attitude nettement trompeuse. En effet, les juges confirment bien que la faute est caractérisée également parce que la banque a affirmé aux liquidateurs qu’il n’était pas nécessaire de mettre en jeu la garantie avant le terme de la garantie, compte tenu de sa prorogation.
Le choix d’une responsabilité délictuelle n’était ainsi pas dénué d’équivoque, quoiqu’il soit sans doute justifié en opportunité. Le principe étant que tout ce qui ne relève pas de la responsabilité contractuelle relève de la délictuelle, il est édifiant qu’en l’espèce un accord de volonté, marqueur classique du contrat, fonde au contraire une responsabilité délictuelle, au motif que le contrat n’a pas été conclu. Cet arrêt créé donc un léger décalage entre l’accord consensuel et la formation du contrat, ce qui produit ses effets sur la nature de la sanction.
B. La nature indemnitaire de la sanction
La Cour de cassation en répondant sur le montant de l’indemnité à laquelle est condamnée la banque, adopte une formule curieuse. En effet, elle pose d’abord le constat de l’autonomie de la garantie à première demande, et semble en déduire le fait que l’indemnité puisse couvrir la somme qui était initialement couverte par la garantie.
La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle de façon d’abord très classique que la mise en œuvre de la garantie à première demande n’est pas dépendante de la défaillance du donneur d’ordre. Il est en effet admis de longue date que c’est là l’atout majeur de la garantie à première demande, qui constitue ainsi une sûreté redoutable, au point même que d’aucuns s’interrogent sur la possibilité de reconnaître quelque abus dans son appel. Qu’importe qu’en ses modalités d’exercice, la garantie ait été ici largement façonnée par les parties. Il n’en demeure pas moins que le principe de son autonomie ne peut être remis en cause. Les liquidateurs n’avaient pas à prouver la défaillance de la société GBT. Or ce n’est pas en l’espèce pour mettre en jeu la garantie que cette preuve est inutile : c’est pour fixer une indemnité égale au montant qu’elle couvrait.
L’autonomie de la garantie n’est ainsi invoquée que pour justifier le montant de l’indemnisation. Le préjudice étant constitué par la non prorogation de la garantie, il n’est pas illogique de considérer que l’indemnisation doit être d’un montant égal à cette garantie.
Néanmoins, la nature indemnitaire de la sanction n’est pas moins équivoque que l’était celle de la responsabilité retenue. En effet, le résultat n’aurait-il pas été le même si une responsabilité contractuelle avait été retenue, et si alors la sanction avait consisté en une exécution forcée ?
Cet arrêt serait alors une illustration (de plus !) des complexités qu’engendre cette summa divisio du droit entre responsabilité contractuelle et délictuelle.
Mathilde BRIARD
Docteur en Droit
Chargée d’enseignements, Université de Bordeaux
Jean-Marie TENGANG
Docteur en Droit – Avocat à la Cours
Chargé d’Enseignement Université de Bordeaux