Commentaire Arret du 6 octobre 2011

Commentaire d’arrêt : Civ. 1ère, 6 octobre 2011 : Mme B c/ Le Point et a.

Par Maître Jean-Marie TENGANG

Chargé d’Enseignement

Faits :

Pendant près d’un an à compter de mai 2009, le maître d’hôtel de Mme B a capté et enregistré les conversations qu’elle avait dans la salle de son hôtel particulier en présence de son gestionnaire de fortune et de Monsieur Ba. Ces enregistrements ont été réalisés à l’insu des personnes concernées.

Des extraits de ces enregistrements ont été publiés par le magazine Le Point dans ses éditions des 17 juin et 1er juillet 2010, ainsi que sur son site Internet.

Procédure

Estimant que les publications des extraits de ces enregistrements portaient atteinte à leur vie privée, les victimes assignèrent en référé la société d’exploitation du magazine, le directeur de la publication et le journaliste afin d’obtenir le retrait des transcriptions du site internet et l’interdiction de toute nouvelle publication des retranscriptions et la publication d’un communiqué judiciaire.

Par arrêt du 23 juillet 2010, la Cour d’Appel de Paris les déboute de leurs demandes.

Sur la forme, elle considère en effet que la publication des enregistrements occultes ne constitue pas un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile, ce qui exclut l’utilisation de la procédure de référé.

Sur le fond, la Cour se réfère aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qui répriment les atteintes à l’intimité de la vie privée d’autrui en raison notamment de l’enregistrement de la voix d’une personne. Pour en exclure l’application au cas particulier, elle s’attache au fait que le contenu des propos retranscrits est «de nature professionnelle et patrimoniale» et ne relèvent donc pas de l’intimité de la vie privée. De plus, elle juge que les propos concernant «la principale actionnaire de l’un des premiers groupes industriels français, dont l’activité et les libéralités font l’objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public» ont suscité de nombreux commentaires publics, de sorte que leur divulgation relève de la légitime information du public.

Le pourvoi formé contre cet arrêt reproche à la Cour la violation des articles 226-1, 226-2 du Code pénal, et 809 du CPC.

Problème juridique :

La question débattue en l’espèce revêt une extrême complexité puisqu’elle invite à caractériser le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée indépendamment de toute preuve. Autrement dit, il s’agissait pour la cour de cassation de dire si  au regard de l’article 226-2 du code pénal, le fait de capter, enregistrer ou transmettre  des conversations privées sans l’autorisation de leur auteur, est il constitutif du délit d’atteinte à l’intimité privée ?

Réponse de la cour de cassation : La chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juillet 2010, pour mauvaise application des textes visés.

Elle affirme clairement que « constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée, que ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transmission de conversations tenus à titre privé ou confidentiel, sans le consentement de leur auteur».

Annonce du plan

Elle réaffirme ainsi la primauté de la protection de la vie privée sur la liberté d’information, et s’attache, pour apprécier si les propos relèvent ou non de l’intimité de la vie privée, aux conditions dans lesquelles les paroles ont été prononcées, sans considération de leur contenu (I). Ce faisant, elle élargit le champ de protection de la vie privée, puisqu’elle exclut que l’information du public puisse justifier la retranscription des propos tenus (II).

I- UNE REAFFIRMATION DE LA SPHERE DE LA VIE PRIVEE

A/ Résultant du lieu de captation des enregistrements

1- Il s’agit d’un lieu privé

La Cour de Cassation définit le lieu privé comme « l’endroit n’étant ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l’occupe par opposition à un lieu accessible à tous » (Cass. Crim. 28 novembre 2006, n°06-81.200).

Dans un arrêt du 4 février 2009, la Cour d’Appel d’Amiens retenait cette acception de la vie privée, en jugeant que le fait pour un journaliste d’avoir filmé le déroulement d’un délibéré de Cour d’Assises de manière indirecte en filmant le reflet sur une vitre extérieure était constitutif d’une atteinte à l’intimité de la vie privée et donc du délit prévu par les dispositions des articles 226-1 et 226-2 du Code Pénal.

2- L’auteur de la captation est de surcroît non convié

L’auteur de la captation est un tiers aux réunions au cours desquelles les propos captés ont été échangés.

Il s’agit d’une circonstance qui renforce le caractère privé des propos tenus, et captés.

La solution n’aurait pas changé si elle était conviée et avait divulgué les propos tenus sans le consentement des autres protagonistes

B/ Résultant de l’absence de consentement des intéressés

1- Clandestinité des enregistrements

Les auteurs des conversations ne savaient pas qu’elles étaient enregistrées

Peut être assimilé au problème de la loyauté de la preuve en matière d’écoutes téléphoniques.

On sait que ces enregistrements, réalisés à l’insu du correspondant, constituent une atteinte à sa vie privée, et dès lors, ne peuvent être produits comme moyens de preuve.

En ce sens, Soc. : 29 janvier 2008, Mme P. c. Société Norbert Dentressangle logistics, Pourvoi n° X 06-45.814 : Dès lors que l’enregistrement de la conversation téléphonique a été effectué à l’insu de son correspondant, le procédé est déloyal et rend la preuve ainsi obtenue irrecevable en justice.

2- Absence de consentement à la divulgation des enregistrements

La question du consentement se pose a postériori.

La Cour reproche aux défendeurs au pourvoi, d’avoir divulgué des extraits des enregistrements, sans demander l’autorisation des personnes enregistrées.

La solution est classique, et rejoint ici la problématique du droit de l’image.

Y aurait-il atteinte à la vie privée si les personnes enregistrées, avaient consenties à la divulgation des enregistrements ?

II- UNE INTERPRETATION HEGEMONIQUE DE LA VIE PRIVEE

A/ L’absence de justificatifs de la primauté de la vie privée sur le droit à l’information du public

1- Quid du débat sur la nature des conversations :

Informations patrimoniales et financières de la principale actionnaire de l’un des premiers groupes industriels français, dont l’activité et les libéralités font l’objet de très nombreux commentaires publics

2- Quid du débat entre liberté d’information et protection de la vie privée

Le droit du public à connaître les tribulations de Mme BETTENCOURT ne l’emporte-t-il pas sur les impératifs de protection de sa vie privée ?

A comparer avec la position de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui fait prévaloir la liberté d’expression lorsque le sujet est une question d’intérêt général (CEDH 7 juin 2007, n°1914/02 : Dupuis et autres c. France).

B/ Une solution à portée limitée

1- Il s’agit d’une procédure de référé

Le trouble manifestement illicite prévu à l’article 809 du CPC permettait au juge de prendre toutes mesures pour le faire cesser.

L’édiction de mesures conservatoires propres à faire cesser le trouble, dispensait de définir avec précision la vie privée dont l’intimité était violée.

Une procédure au fond n’aurait admis l’atteinte à la vie privée, qu’en faisant la balance entre liberté d’expression et protection de la vie privée, notamment en prouvant :

Le caractère strictement privé des conversations enregistrées ;

L’absence du droit du public à en connaître.

2- La solution diverge de celle retenue par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 31 janvier 2012 (N° de pourvoi: 11-85464), la chambre criminelle de la Cour de cassation a validé les enregistrements clandestins de conversations téléphoniques de Liliane BETTENCOURT avec ses interlocuteurs (qui ont précisément donné lieu à l’arrêt commenté).

La Cour dispose «qu’en se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision, dès lors que les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l’information, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d’être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et que la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d’en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation « .

La Cour rappelle qu’un particulier peut se prévaloir d’une preuve susceptible d’être illicite, notamment de porter atteinte à la vie privée d’une personne, dans la mesure où elle peut être discutée de manière contradictoire pendant la procédure.

Ces enregistrements effectués par un particulier et non par l’autorité publique à l’insu de la personne constituent des pièces à conviction. L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui avait validé ces enregistrements et la procédure qui en a résulté sont réguliers.

Les enquêtes diligentées à Bordeaux peuvent donc se poursuivre.

La vie privée est une notion à contenu variable, selon que l’on utilise la procédure civile ou la procédure pénale.

Autre Plan (Proposé par Sabine et Aymar)

I- L’existence de l’atteinte à l’intimité de la vie privée

A Une uniformisation jurisprudentielle

1 Un principe constant

2 L’alignement de la jurisprudence civile sur la jurisprudence criminelle

B La Caractérisation de l’atteinte

1 La captation

2 L’enregistrement ou la transmission

II- La preuve de l’atteinte à l’intimité de la vie privée

A L’ illicéité du trouble

1 L’action en référé : preuve du trouble manifestement illicite (réussite de l’action, en l’espèce)

2 Protection jurisprudentielle des conversations dans les relations professionnelles

B L’ ineffectivité du contenu de la conversation enregistrée

1 La dénaturation de l’article 226-1cp opérée par les juges du fond

2 Le risque d’une interprétation maximaliste de l’article 226-1 cp

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