sanction de l’abstinence forcée

Commentaire : Cour Appel Aix en Provence, 3 mai 2011

Faits : Monsieur G refuse d’honorer Madame B pendant de longues années de mariage.

Procédure : Dans le cadre de la procédure de divorce pour faute engagé par Madame B, Monsieur G est condamné par les premiers juges à payer à sa femme la somme de 10.000€ sur le fondement de 1382 du Code Civil en réparation du préjudice qu’elle a subi pendant plusieurs années en raison de l’abstinence sexuelle qu’il lui a imposée.

Trouvant cette condamnation injustifiée, Monsieur G interjette appel de la décision.

Arguments des parties : Au soutien de son appel, Monsieur nie l’absence totale de relations sexuelles, et reconnaît toutefois un espacement de celles-ci résultant de fatigue liée au travail et problèmes de santé.

Madame B demande la confirmation du jugement entrepris, et maintien l’absence totale de relations sexuelles.

Problème de droit : Madame B peut-elle obtenir réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, d’un préjudice résultant d’une abstinence sexuelle imposée par son mari ?

Solution retenue : la Cour d’Appel confirme la décision du premier juge qui a attribué la somme de  10.000 € à Madame B en réparation du préjudice résultant d’une absence prolongée de relations sexuelles, Monsieur G ne justifiant pas de problèmes de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse.

L’article 1382 implique en effet que soit rapportée la preuve d’une faute qui résulte au cas particulier de l’abstinence forcée (I), et d’un préjudice qui en l’espèce reste bien mystérieux (II).

I. Une responsabilité pour abstinence forcée

A) Une obligation charnelle discrète

1) La pudeur du Code civil

Vision désincarnée du mariage, puisque la consommation du mariage n’y figure pas.

Certes, l’article 212 de ce code énonce au nombre des devoirs des époux celui de fidélité, lequel vise avant tout la fidélité sexuelle et, partant, l’existence de relations sexuelles entre époux.

De même, selon les dispositions de l’article 215 du Code civil, « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », laquelle, on le sait également, et pour reprendre Loysel, est entendue, notamment, au sens pudique de communauté de lit.

De même enfin, le refus du devoir conjugal peut être une cause de divorce. Il est rarement invoqué, le lit conjugal ayant été « le grand absent des débats »

2) La résurgence du droit canonique

Le mariage canonique est mort ! Vive le mariage canonique ?

En 2011, la consommation au sens du droit canon, soit l’acte charnel, serait-elle une condition de perfection du mariage, un mariage conclu, mais non consommé, étant valable, mais non parfait, et pouvant donc être dissous ?

Avec, en sus, la condamnation de l’époux non consommant au versement de dommages et intérêts à son conjoint… frustré ?

B) La faute : manquement avéré à l’obligation charnelle

1) Une jurisprudence rare, mais concordante

Quelques rares juges du fond avaient d’ores et déjà sanctionné le refus de relations sexuelles après le mariage :

  • La limitation des rapports intimes et les refus fréquents : CA Amiens, 28 févr. 1996 : Gaz. Pal. 1996, 2, jur., p. 445 – Cass. 2e civ., 10 févr. 1972 : D. 1972, p. 379 – Cass. 2e civ., 8 oct. 1970 : Gaz. Pal. 1971. 1, p. 26.
  • V. encore CA Colmar, 26 juin 1928, Gaz. Pal. 1928. 2, jur., p. 685, affaire dans laquelle les juges du fond ont estimé « répréhensible de ne pas avoir fait acte de mari plus fréquemment ».
  • Le refus du mari de partager la chambre de sa femme : CA Poitiers, 1er juin 2005 : JCP G 2006, IV, 2298. À rapprocher de Cass. 1re civ., 9 nov. 1965 : Bull. civ. 1965, I, no 597 ; D. 1966, jur., p. 80, note J. Mazeaud.
  • Le fait pour le mari d’avoir « entretenu des rapports si imparfaits qu’ils ne procuraient à sa femme ni espérance de maternité ni plaisir » : CA Lyon, 28 mai 1956, D. 1956, jur., p. 546.

En jugeant fautif M. Y pour « la quasi-absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, certes avec des reprises ponctuelles », la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a fait que consolider l’édifice jurisprudentiel.

2) L’absence d’exonération

Au cas particulier, Monsieur Y « ne justifiait pas de problème de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse ».

Se pose la question d’une telle preuve. Elle est délicate compte tenu du caractère intime des faits allégués et du nécessaire respect de l’intimité de la vie privée des conjoints.

Seuls une expertise médicale, des témoignages, des indices tirés de la correspondance des époux entre eux ou avec des tiers, ou encore l’aveu semblent être recevables.

II. Une réparation équivoque

A) Quant à son contenu

1) Aucune évaluation de la part de Madame B

Il s’agit d’un préjudice moral, qui est en général difficile à fixer hors expertise.

Madame B ne le justifie pas au cas particulier.

À l’ère du culte de la performance sexuelle, encouragé par les médias et source de tant d’angoisses, des juges du fond ont cru pouvoir énoncer que « la moyenne relevée en général dans les couples français est d’un rapport par semaine » et ainsi oser élaborer une fréquence normative de l’acte sexuel conjugal… TI Saintes, 6 janv. 1992.

2) Aucune référence objective

Selon l’enquête, rendue publique en mars 2007, sur l’évolution du comportement sexuel des Français, intitulée Contexte de la sexualité en France, réalisée en 2006 par une équipe de chercheurs en sociologie, démographie et épidémiologie, notamment, de l’Inserm, de l’Ined, du CNRS, de l’INVS, et à l’initiative de l’agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales, la fréquence des rapports sexuels est de 8,7 par mois, identique pour les hommes et les femmes.

B) Quant aux modalités de réparation

1) L’impossibilité d’une réparation par équivalent

L’exclusion de la réparation par nature.

L’allocation d’une indemnité spécifique restait la seule solution.

2) L’octroi discutable de dommages et intérêts

Où on retrouve le caractère souverain de l’appréciation judiciaire de ce préjudice si spécifique.

En l’espèce, l’abstinence sexuelle a coûté à M. Y, dont le mariage aura donc duré vingt et un ans, la somme de 10 000 euros, soit celle de 1,3 euro par jour. Il est vrai, comme l’ont relevé les juges du fond, que le couple avait connu « des reprises ponctuelles » de relations sexuelles.

Le caractère modique, de cette condamnation pécuniaire serait-il dû à une certaine clémence judiciaire méridionale ?

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » : un époux abstinent pourrait être condamné à davantage au-dessus de la Loire, pour la simple raison qu’il y fait plus froid, et que les effets de l’abstinence forcée sont plus rudes.