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Commentaire : Cour Appel Aix en Provence, 3 mai 2011

Faits : Monsieur G refuse d’honorer Madame B pendant de longues années de mariage.

Procédure : Dans le cadre de la procédure de divorce pour faute engagé par Madame B, Monsieur G est condamné par les premiers juges à payer à sa femme la somme de 10.000€ sur le fondement de 1382 du Code Civil en réparation du préjudice qu’elle a subi pendant plusieurs années en raison de l’abstinence sexuelle qu’il lui a imposée.

Trouvant cette condamnation injustifiée, Monsieur G interjette appel de la décision.

Arguments des parties : Au soutien de son appel, Monsieur nie l’absence totale de relations sexuelles, et reconnaît toutefois un espacement de celles-ci résultant de fatigue liée au travail et problèmes de santé.

Madame B demande la confirmation du jugement entrepris, et maintien l’absence totale de relations sexuelles.

Problème de droit : Madame B peut-elle obtenir réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, d’un préjudice résultant d’une abstinence sexuelle imposée par son mari ?

Solution retenue : la Cour d’Appel confirme la décision du premier juge qui a attribué la somme de  10.000 € à Madame B en réparation du préjudice résultant d’une absence prolongée de relations sexuelles, Monsieur G ne justifiant pas de problèmes de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse.

L’article 1382 implique en effet que soit rapportée la preuve d’une faute qui résulte au cas particulier de l’abstinence forcée (I), et d’un préjudice qui en l’espèce reste bien mystérieux (II).

I. Une responsabilité pour abstinence forcée

A) Une obligation charnelle discrète

1) La pudeur du Code civil

Vision désincarnée du mariage, puisque la consommation du mariage n’y figure pas.

Certes, l’article 212 de ce code énonce au nombre des devoirs des époux celui de fidélité, lequel vise avant tout la fidélité sexuelle et, partant, l’existence de relations sexuelles entre époux.

De même, selon les dispositions de l’article 215 du Code civil, « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », laquelle, on le sait également, et pour reprendre Loysel, est entendue, notamment, au sens pudique de communauté de lit.

De même enfin, le refus du devoir conjugal peut être une cause de divorce. Il est rarement invoqué, le lit conjugal ayant été « le grand absent des débats »

2) La résurgence du droit canonique

Le mariage canonique est mort ! Vive le mariage canonique ?

En 2011, la consommation au sens du droit canon, soit l’acte charnel, serait-elle une condition de perfection du mariage, un mariage conclu, mais non consommé, étant valable, mais non parfait, et pouvant donc être dissous ?

Avec, en sus, la condamnation de l’époux non consommant au versement de dommages et intérêts à son conjoint… frustré ?

B) La faute : manquement avéré à l’obligation charnelle

1) Une jurisprudence rare, mais concordante

Quelques rares juges du fond avaient d’ores et déjà sanctionné le refus de relations sexuelles après le mariage :

  • La limitation des rapports intimes et les refus fréquents : CA Amiens, 28 févr. 1996 : Gaz. Pal. 1996, 2, jur., p. 445 – Cass. 2e civ., 10 févr. 1972 : D. 1972, p. 379 – Cass. 2e civ., 8 oct. 1970 : Gaz. Pal. 1971. 1, p. 26.
  • V. encore CA Colmar, 26 juin 1928, Gaz. Pal. 1928. 2, jur., p. 685, affaire dans laquelle les juges du fond ont estimé « répréhensible de ne pas avoir fait acte de mari plus fréquemment ».
  • Le refus du mari de partager la chambre de sa femme : CA Poitiers, 1er juin 2005 : JCP G 2006, IV, 2298. À rapprocher de Cass. 1re civ., 9 nov. 1965 : Bull. civ. 1965, I, no 597 ; D. 1966, jur., p. 80, note J. Mazeaud.
  • Le fait pour le mari d’avoir « entretenu des rapports si imparfaits qu’ils ne procuraient à sa femme ni espérance de maternité ni plaisir » : CA Lyon, 28 mai 1956, D. 1956, jur., p. 546.

En jugeant fautif M. Y pour « la quasi-absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, certes avec des reprises ponctuelles », la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a fait que consolider l’édifice jurisprudentiel.

2) L’absence d’exonération

Au cas particulier, Monsieur Y « ne justifiait pas de problème de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse ».

Se pose la question d’une telle preuve. Elle est délicate compte tenu du caractère intime des faits allégués et du nécessaire respect de l’intimité de la vie privée des conjoints.

Seuls une expertise médicale, des témoignages, des indices tirés de la correspondance des époux entre eux ou avec des tiers, ou encore l’aveu semblent être recevables.

II. Une réparation équivoque

A) Quant à son contenu

1) Aucune évaluation de la part de Madame B

Il s’agit d’un préjudice moral, qui est en général difficile à fixer hors expertise.

Madame B ne le justifie pas au cas particulier.

À l’ère du culte de la performance sexuelle, encouragé par les médias et source de tant d’angoisses, des juges du fond ont cru pouvoir énoncer que « la moyenne relevée en général dans les couples français est d’un rapport par semaine » et ainsi oser élaborer une fréquence normative de l’acte sexuel conjugal… TI Saintes, 6 janv. 1992.

2) Aucune référence objective

Selon l’enquête, rendue publique en mars 2007, sur l’évolution du comportement sexuel des Français, intitulée Contexte de la sexualité en France, réalisée en 2006 par une équipe de chercheurs en sociologie, démographie et épidémiologie, notamment, de l’Inserm, de l’Ined, du CNRS, de l’INVS, et à l’initiative de l’agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales, la fréquence des rapports sexuels est de 8,7 par mois, identique pour les hommes et les femmes.

B) Quant aux modalités de réparation

1) L’impossibilité d’une réparation par équivalent

L’exclusion de la réparation par nature.

L’allocation d’une indemnité spécifique restait la seule solution.

2) L’octroi discutable de dommages et intérêts

Où on retrouve le caractère souverain de l’appréciation judiciaire de ce préjudice si spécifique.

En l’espèce, l’abstinence sexuelle a coûté à M. Y, dont le mariage aura donc duré vingt et un ans, la somme de 10 000 euros, soit celle de 1,3 euro par jour. Il est vrai, comme l’ont relevé les juges du fond, que le couple avait connu « des reprises ponctuelles » de relations sexuelles.

Le caractère modique, de cette condamnation pécuniaire serait-il dû à une certaine clémence judiciaire méridionale ?

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » : un époux abstinent pourrait être condamné à davantage au-dessus de la Loire, pour la simple raison qu’il y fait plus froid, et que les effets de l’abstinence forcée sont plus rudes.

Quelques exemples de prestations compensatoires

C. Versailles (2e chambre), 30 mars 2000

Gazette du Palais, 27 avril 2000 N°118, P. 51

Divorce faute – Torts partagés

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 17 ans.

Nombre d’enfant: 2 enfants.

Patrimoine communauté : 1.300.000 F.

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 48 ans.

- Profession: Chirurgien dentiste.

- Revenus: 77.000 F/mois.

Situation de l’épouse:

- Âge: 46 ans.

- Profession: Infirmière.

- Revenus: 10.800 F/mois.

II – Fixation du montant de la prestation compensatoire

Capital de 500.000 F.

1- C. Paris (24e chambre A), 24 février 1999

Gazette du Palais, 27 avril 2000:

Divorce faute – Torts partagés

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 21 ans.

Nombre d’enfant: 1 – majeur.

Existence de donations : 0.

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 53 ans.

- Profession: Exploitant de galerie d’art.

- Revenus: 25.000 F/mois.

- Patrimoine: Important.

Situation de l’épouse:

- Âge: 55 ans.

- Profession: Retraitée.

- Revenus: 6.000 F/mois.

- Patrimoine: Important.

II – La fixation du montant de la prestation compensatoire

Capital de 1.000.000 de francs.

1- C.A. Dijon (1re chambre), 29 juin 1999,

Gazette du Palais, 14 novembre 2000 n° 319, P. 21:

Divorce faute – Torts partagés

I – Les Données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire :

1 – Eléments d’appréciation :

Durée du mariage : 26 ans.

Nombre d’enfant: 2 majeurs (à charge).

Contribution enfant: 1.500 et 2.500 F/mois.

2 – Ressources des parties

Situation du mari :

- Âge: 48 ans.

- Profession: Garagiste.

- Revenus: 11.000 F par mois.

Situation de l’épouse:

- Âge: 48 ans

- Profession: Femme de ménage.

- Revenus: 4.500 F par mois.

II – Prestation compensatoire

Capital: 200.000 F.  Rente mensuel: 1.500 F.

2- C.A. Paris (24e chambre section C), 22 juin 2000

Divorce faute

I – Les Données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire :

1 – Eléments d’appréciation :

Durée du mariage : 29 ans.

Nombre d’enfant: 5 majeurs.

Contribution enfant: 1.500 et 1.000 F/mois.

2 – Ressources des parties

Situation du mari :

- Âge: 54 ans.

- Profession: Directeur Office du Tourisme.

- Revenus: 400.000 F par an.

- Patrimoine immobilier important + 3.000.000 F portefeuille titres et 2.800.000 F de liquidités.

Situation de l’épouse:

- Âge: 53 ans

- Profession: Sans.

- Revenus: Sans.

II – Prestation compensatoire

Capital: 500.000 F.

Rente mensuelle: 6.500 F jusqu’au prédécès du débiteur.

Trib. gr. inst. La Rochelle, 15 décembre 1998

Gazette du Palais, 27 avril 2000 n° 118, P. 51

Divorce faute – Torts partagés

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 34 ans.

Nombre d’enfant: 2 (majeurs).

Patrimoine communauté : 3.120.000 F.

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 56 ans.

- Profession: Cadre.

- Revenus: 35.000 F/mois.

Situation de l’épouse:

- Âge: 57 ans.

- Profession: Secrétaire.

- Revenus: 5.300 F/mois.

II – Fixation du montant de la prestation compensatoire

Capital de 750.000 F.

T.G.I. Créteil (7e chambre J), 30 novembre 1999

Gazette du Palais, 27 avril 2000 n° 118, P. 52

Divorce faute – Torts partagés

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 35 ans.

Nombre d’enfant: 2 enfants.

Patrimoine communauté : 23.000.000 F.

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 60 ans.

- Profession: Chef d’entreprise.

- Revenus: 80.000/95.000 F/mois.

Situation de l’épouse:

- Âge: 61 ans.

- Profession: sans.

- Revenus: sans.

II – Fixation du montant de la prestation compensatoire

Capital 2.000.000 F.

Avance sur communauté 8.500.000 F.

REFUS PRESTATIONS COMPENSATOIRES

3- C. Paris (24e chambre C), 20 janvier 2000

Gazette du Palais, 27 avril 2000 n° 118, P. 50

Divorce faute – Torts partagés

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 26 ans.

Nombre d’enfant: 1 – majeur.

Patrimoine de la communauté : 1.500.000 F.

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 60 ans.

- Profession: Retraité.

- Revenus: 8.102 F/mois.

Situation de l’épouse:

- Âge: 69 ans.

- Profession: Retraitée.

- Revenus: 6.900 F/mois.

- Patrimoine personnel: 1 maison + 1 terrain.

II – Fixation de la prestation compensatoire

Néant.

Trib. gr. inst. Roannel, 7 janvier 2000

Gazette du Palais, 27 avril 2000 n° 118, P. 52

Divorce faute – Torts exclusifs

I – Les données du calcul de la fixation du montant de la prestation compensatoire

1 – Éléments d’appréciation

Durée de vie commune: 15 ans.

Nombre d’enfant: 2 enfants (1 majeur).

2 – Ressources des parties

Situation du mari:

- Âge: 41 ans.

- Profession: Chef d’entreprise.

- Revenus: 2.300 F/mois (calculé sur le bénéfice imposable de l’année).

Situation de l’épouse:

- Âge: 38 ans.

- Profession: NP.

- Revenus: 7.334 F/mois (salaire + prestation sociale).

II – Fixation de la prestation compensatoire

Néant.

La Cour d’Appel de Paris confirme la guerre contre le typosquatting

Notes sous Arrêt : CA Paris, 30 novembre 2011

(N° 09/17146) Société Web Vision c/ Société Trokers)

Par Jean-Marie TENGANG

Chargé d’Enseignement Université Bordeaux IV – Avocat au Barreau de Bordeaux

Par cet arrêt du 30 novembre 2011, la Cour d’Appel de Paris confirme l’illicéité du parasitisme des noms de domaines sur Internet, connu sous le nom de « typosquatting ».

Le mécanisme est rodé : Une personne ou une société achète un ou plusieurs noms de domaine proches de celui de sites fréquentés ou appartenant à une marque connue, de manière à en tirer un avantage indu.

Les Faits de l’espèce

La société TROKERS, qui exerce sous le nom commercial « 2xmoins cher.com » une activité d’intermédiaire dans la vente à distance de produits neufs ou d’occasion.

Pour ce faire, elle a ouvert le site internet «2xmoinscher.com», et a déposé les marques semi figuratives «2x(moins cher)» et verbale «2xmoinscher.com» enregistrées à l’INPI respectivement les 13 février 2001 et 1er février 2006 sous les n° 3 082 310 et 06 3 407 433.

La société  TROKERS est également titulaire des noms de domaines «2xmoinscher.com», «2xmoinscher.net», «2xmoinscherorg», «2xmoinscher.biz» et «2xmoinscher.fr».

Elle a constaté en juillet 2006 que la saisie des URL www.2xmoinschers.fr et www.2moinscher.fr (qui ne lui appartenaient pas, et qu’elle n’avait pas déposé) permettait un renvoi automatique vers son propre site internet accessible aux adresses www.2xmoinscher.com ou www.2xmoinscher.fr et que ce renvoi automatique était organisé par l’intermédiaire du site internet Altinames. info et du service d’affiliation fourni par la société Cibleclick. Ce détournement est d’autant plus grave que la société CIBLECLICK est celle avec laquelle elle avait souscrit pour la diffusion de ses publicités.

Elle a aussi constaté que les noms de domaine «2xmoinschers.fr» et «2moinscher.fr» avaient été enregistrés par la société Web Vision.

Procédure

Après de multiples mises en demeure restées vaines, elle faisait dresser un constat par l’Agence pour la Protection des Programmes (APP), et assignait la société Web Vision pour les faits de :

  • Contrefaçon de ses deux marques «2xmoinschers.fr» et «2moinscher.fr» ;
  • Contrefaçon de ses droits d’auteur sur son site internet et sur le titre de celui ci
  • Atteinte à son nom commercial et à ses noms de domaines ;

Le Tribunal de Grande Instance de Paris faisait partiellement droit à ses demandes. Elle jugeait en effet que les faits reprochés à la société WEB VISION étaient constitutifs d’atteinte à ses noms de domaine, mais rejetait  toutes les autres demandes de la société TROKERS.

Des dommages intérêts lui étaient accordés en raison de la seule atteinte à ses noms de domaines.

La Société WEB VISION interjetait appel de la décision, et demandait son infirmation en ce qu’elle a été condamnée au titre de l’atteinte aux noms de domaine de la Société TROKERS, et de le confirmer pour le surplus.

Mal lui en a pris, car sur appel incident de cette dernière, la Cour d’Appel de Paris a rendu l’arrêt sous notes qui est plus sévère.

Motifs de l’arrêt

1. Sur l’atteinte au nom de domaine.

La question se posait ici de savoir si la réservation des deux noms de domaine non expressément déposés par la société TROKERS, était fautive.

Pour la Cour, il n’y a aucun doute à ce sujet : « en réservant les noms de domaines «2xmoinschers.fr», «2moinscher.fr» et «2xmoinscheres.com», la société Web vision n’a été conduite que par le souci de se procurer un avantage économique indu en détournant artificiellement à son profit le flux économique généré par la valeur propre des noms de domaine «2xmoinscher.com», «2xmoinscher.net», «2xmoinscher.org », «2xmoinscher.biz» et «2xmoinscher.fr» réservés par la société TROKERS ».

La Cour en déduit  que cette exploitation déloyale caractérise l’atteinte retenue à juste titre par le tribunal aux noms de domaine de la société TROKERS.

La solution n’et pas étonnante, car il s’agit simplement d’une application des principes dégagés en matière de parasitisme économique en matière de nom de domaine.

2. Sur l’atteinte au nom commercial

La société TROKERS exploite son activité sous le nom commercial «2xmoinscher.com».

La société WEB VISION, qui le sait pour être sous contrat d’affiliation avec elle, a, sans autorisation, utilisé ce nom commercial pour en tirer un profit personnel en exploitant malicieusement celui-ci, dans des formes délibérément altérées.

Une telle utilisation à but lucratif du nom commercial volontairement déformé d’une entreprise caractérise une atteinte préjudiciable dont elle est fondée à demander réparation.

Là aussi, la solution est classique

3. Sur la contrefaçon des marques de la société TROKERS

Cette demande était plus délicate à définir et à cerner

Elle invitait la Cour à juger que l’utilisation de noms de domaines peut être contrefaisante de marque sur le fondement de l’article L 713-3 du CPI sans qu’il y ait proposition de produits concurrents.

La Cour retient pourtant cette infraction, après avoir noté que :

  • Cette utilisation n’a pas été autorisée par la société TROKERS, propriétaire de ces marques.

  • Ces imitations ont été conçues précisément pour être confondues avec celles de la société TROKERS au point que le public ne se rende pas compte qu’elles le conduisent à son insu par un chemin détourné, en tirant profit d’erreurs de saisie, vers les produits ou services désignés par les marques imitées.

Un tel usage d’imitations de marques, même s’il n’a pas pour objet d’attirer finalement le public vers des produits concurrents de ceux couverts par les marques légitimes – ce qui est le cas en l’espèce puisque la société WEB VISION n’exerce aucune activité d’intermédiaire dans les ventes à distance de produits neufs ou d’occasion – mais au contraire de le diriger vers les produits et services qui sont ceux de l’entreprise titulaire des marques imitées, caractérise néanmoins une contrefaçon de ces marques dès lors qu’il concourt à désigner, ainsi que le prévoit l’article L 713-3, b, du code de la propriété intellectuelle «des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement».

La motivation laisse songeur.

4. Sur la contrefaçon de droits d’auteur sur le site internet de la société TROKERS

La représentation illicite interdite par l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose est caractérisée par la redirection automatique de certains internautes vers le site de la société TROKERS grâce aux adresses altérées, et la communication de ce site au public par la société WEB VISION par un moyen non autorisé.

La Cour confirme ainsi la jurisprudence qui admet l’originalité des sites Internet.

5. Sur la contrefaçon des droits d’auteur de la société TROKERS sur le titre de son site internet

Au visa de l’article L 112-4 du code de la propriété intellectuelle, la Cour va rejeter la demande de la société TROKERS pour les faits de contrefaçon des droits d’auteur de la société TROKERS sur le titre de son site internet

Elle retient ainsi l’argument de la société WEB VISION ainsi formulé : à supposer démontré que l’expression «2xmoinscher.com» puisse être regardée comme le titre du site internet de la société TROKERS présentant en lui même un caractère original, on ne pouvait que convenir  qu’elle n’a pas utilisé ce titre pour individualiser une œuvre du même genre puisqu’elle n’a élaboré elle-même aucun site internet.

Il ne faut pas pousser

Les sanctions

1. Sur les mesures réparatrices

Pour la société TROKERS, les différentes atteintes portées à ses noms de domaine, à son nom commercial, à ses droits de marques et à ses droits d’auteur ont contribué à galvauder ses signes distinctifs et l’ont conduit à payer à la société WEB VISION, par l’intermédiaire de la société CIBLECLICK, une rémunération indue chaque fois qu’un internaute a saisi les adresses litigieuses et suivi le chemin frauduleusement organisé par la société WEB VISION.

L’ensemble des circonstances de la cause et le comportement parasitaire de la société WEB VISION au détriment de la société TROKERS ont incontestablement causé à celle-ci un préjudice commercial justifiant l’allocation de dommages intérêts.

A défaut d’élément d’individualisation du dommage en fonction de la nature des atteintes dénoncées, la Cour apprécie globalement le dommage, et alloue à la Société une indemnité du même montant que celui prononcé par le Juge d’Instance, soit 65 000 €.

2- La publication de l’arrêt

La nature des faits reprochés justifie d’accueillir la demande de publication de l’arrêt qui en est faite par la société TROKERS.

Sur le fond, l’arrêt ne peut qu’être approuvé.

Le parasitisme des noms de domaines est un fléau qu’il convient de combattre.

La démultiplication des extensions (.org, .net, .fr, .com…) est telle que chaque nom de domaine (nom patronymique, marque, dénomination sociale) doit déposé avec toutes les extensions possibles, pour éviter qu’un tiers ne se l’approprie.

Or, chaque dépôt donne lieu à un coût, renouvelé chaque année.

On peut néanmoins s’étonner que la Cour ait retenu la contrefaçon de marque, alors que précisément, les imitations litigieuses, n’avaient pas pour objet d’attirer le public vers des produits concurrents de ceux couverts par les marques légitimes, mais au contraire de le diriger vers les produits et services qui sont ceux de l’entreprise titulaire des marques imitées.

Or, la contrefaçon de marque n’est en général retenue, et sanctionnée s’agissant des noms de domaine, que si le nom frauduleusement enregistré risque de créer une confusion dans l’esprit des utilisateurs (C. Paris, 4è ch., sect. A, 16 mai 2001 : S.A.R.L. International technique services I.T.S. c. M. Dominique A., S.A..R.L. Le Jardin des arts et encadrements – RG no 00/07417), ce qui suppose des produits concurrents.

A la suite de la jurisprudence « Alice » (Trib. gr. inst. Paris 3e ch., 23 mars 1999, SNC Alice C. SA Alice), il est acquis que le titulaire d’une marque non notoire qui ne l’enregistre pas comme nom de domaine ne peut agir en contrefaçon de marque contre celui qui l’enregistre «le seul enregistrement du nom de domaine, opération en elle-même totalement neutre, ne permettant pas d’établir une identité ou une similarité de service avec les services pour lesquels la marque est protégée». Cette jurisprudence a été confirmée depuis (Trib. gr. inst. Nanterre (2e ch.), 28 mai 2001, SARL Transatia, SA Léonardo et Association Léonardo c/ Association Léonardo ; Trib. gr. inst. Paris (3e ch., 3e sect.), jugement du 9 juillet 2002, SA Le tourisme Compagnie parisienne du tourisme c/ SA).

Il n’en va autrement que si la personne qui enregistre une marque notoire comme nom de domaine, entend surfer sur la notoriété de la marque pour gagner de l’argent à moindre coût (Trib. gr. inst. Draguignan (1e ch. civ.), 21 août 1997, Commune de Saint-Tropez c/ Eurovirtuel et autres).

Il faut croire que par cet arrêt du 30 novembre 2011, la Cour nous indique que cette jurisprudence n’est pas fixée. Le Tribunal de grande instance de Paris avait déjà dissocié la contrefaçon de marque et le risque de confusion par un attendu similaire : « Attendu que l’association est bien fondée à reprocher à M. P. une contrefaçon de sa marque Clusif déposée le 9-03-1993 ; que les noms de domaine ont reproduit la marque à l’identique ; que dans cette hypothèse, sur le fondement de l’article L713-2 du code de la propriété intellectuelle, il n’est pas nécessaire de justifier d’un risque de confusion» (Trib. gr. inst. Paris (3e ch.), 29 janvier 2003, Clusif M. M. P sarl indomco sarl press £ Co sa and co.)

Faut-il l’approuver ? Le commentateur ne le pense pas.

La solution en tout cas confirme un durcissement de la lutte contre le « typosquatting« .

COMMENTAIRE Cour Appel DOUAI 17 Novembre 2008

Commentaire d’arrêt : COUR D’APPEL DE DOUAI, 17 novembre 2008

Par Jean-Marie TENGANG

Chargé d’Enseignement – Avocat à la Cour

Faits :

Monsieur X a épousé Mlle Y.

Il découvre que son épouse n’est pas vierge lors de la nuit de noces.

Il estime avoir été trompé sur le passé sentimental de sa femme.

Procédure :

Il saisit alors le TGI de Lille pour obtenir la nullité du mariage en raison de l’erreur sur les qualités essentielles de son épouse, en l’espèce son absence de virginité.

Sans se justifier, sans aucun autre argument mais ans passer aveu, sa femme ne s’oppose pas à cette demande.

Le TGI de Lille fait y fait droit, et prononce la nullité du mariage intervenu entre les parties pour erreur sur les qualités essentielles de l’épouse.

Un appel est formé contre cette décision par le Ministère Public.

Arguments des parties.

Au soutien de son appel, le Ministère Public tire argument de ce que le mariage est une institution, qu’il s’agit d’une matière d’ordre public où les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits.

Dès lors, il ne peut être annulé à la guise des époux, hors les cas de nullité reconnus.

Monsieur X, premier intimé, soutient une série d’arguments :

• En l’absence de cohabitation entre les époux, ces derniers se seraient livrés à la cérémonie de mariage dans un but étranger à l’union matrimonial ;

• Au visa de l’article 180 alinéa 2, et sans qu’il soit véritablement question de dire si la virginité de Mademoiselle Y est une qualité essentielle du mariage, force est de constater :

  • Qu’elle aurait menti sur son passé sentimental et sur sa virginité, provoquant chez son mari une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur sa sincérité ;
  • Cette virginité était pour Monsieur X une espérance ;
  • Tous ces éléments créent un déficit de confiance, de fidélité réciproque et de sincérité qui peuvent être considérées comme des qualités essentielles attendus par chacun des conjoints, et dont l’absence justifie la nullité du mariage.

Mademoiselle Y pour sa part conteste avoir menti, puisque sa vie sentimentale passée n’avait pas fait l’objet de débats avec son futur mari. Mais ne s’oppose pas à la demande de nullité du mariage.

Problème Juridique

La question posée à la Cour d’Appel de Douai est de savoir si le mensonge sur le passé sentimental d’un conjoint, à le supposer avéré, constitue une cause de nullité du mariage pour erreur sur ses qualités essentielles.

Par l’arrêt commenté, la Cour d’Appel de DOUAI répond par la négative à cette question. Après avoir constaté que Monsieur X n’apportait pas la preuve du mensonge allégué, la Cour conclut que la virginité n’est pas une qualité essentielle de l’un ou l’autre des conjoints, de sorte que son absence n’a aucune incidence sur la vie matrimoniale.

Annonce de plan

La Cour écarte d’abord le mensonge comme cause de nullité du mariage, faute pour le demandeur d’en apporter la preuve (I). Ensuite, la Cour juge comme inopérante l’erreur sur la virginité de la femme, laquelle n’est pas une qualité essentielle du mariage (II).

I- L’absence de preuve du mensonge

La règle en la matière est résumée par la fameuse phrase de LOYSEL « En mariage, trompe qui peut ».

Faute pour Mlle Y de faire l’aveu du mensonge allégué par son mari, il appartenait à ce dernier de rapporter la preuve du mensonge.

A/ Examen des preuves produites

1- Les attestations versées aux débats

Elles sont rédigées par le père et par les proches (frère, témoin de mariage) de Monsieur X.

Mademoiselle Y, tout en indiquant ne pas s’opposer à la demande de nullité, n’a pas fait d’aveu de mensonge.

2- Preuves indirectes.

Absence de preuve objective du mensonge

Pour la Cour d’Appel, il s’agit de preuves indirectes, dès lors qu’elles ne font que reproduire les propos que les époux auraient tenus ou des confidences qu’ils auraient faites après le mariage.

Elles ne peuvent emporter la conviction de la Cour

B/ Pertinence des preuves produites

1- L’attitude équivoque de l’époux

Les propres attestations produites à son dossier par Monsieur X révélaient que c’était lui-même qui, faisant une question de principe de la «trahison» dont il s’estimait victime, a décidé de ne pas poursuivre l’union et a demandé à ses proches de raccompagner l’épouse chez ses parents».

En d’autres termes, le défaut d’intention matrimoniale, cause de nullité, doit exister chez chacun des époux, ou être invoqué par celui qui avait l’intention de se marier à l’encontre de celui dont l’intention faisait défaut. Or, en l’espèce, les deux époux avaient cette intention.

2- Une preuve sans réel intérêt

Pour la Cour, même la preuve du mensonge n’aurait pas conduit à la nullité du mariage.

Le mariage est posé ici comme une institution.

Les règles d’ordre public interdissent aux conjoints de disposer librement de cette institution

I- La portée du mensonge

L’arrêt est justifié en droit, mais critiquable en pratique

A/ Absence de pertinence du mensonge sur la virginité

1- Le mensonge allégué n’et pas une cause de nullité du mariage

Monsieur X soutient au visa de l’article 180 alinéa 2, que Mademoiselle Y

• Aurait menti sur son passé sentimental et sur sa virginité, provoquant chez son mari une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur sa sincérité ;

• Cette virginité était pour Monsieur X une espérance ;

• Tous ces éléments créent un déficit de confiance, de fidélité réciproque et de sincérité qui peuvent être considérées comme des qualités essentielles attendus par chacun des conjoints, et dont l’absence justifie la nullité du mariage.

Pour la Cour, il ne s’agit pas d’une cause de nullité du mariage «le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation du mariage.

Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale. Ainsi la prétendue atteinte à la «confiance réciproque» est-elle sans portée quant à la validité de l’union ».

On notera que dans son argumentaire, Monsieur X fait référence à des éléments de fidélité réciproques qui ne sauraient préexister au mariage.

2- Cas de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles.

La jurisprudence BERTON (Cass. Ch. Réun. 24 avril 1862, S. 1862, 1, 342) avait posé comme règle que le mariage ne peut être annulé que lorsque l’erreur porte sur la personne du conjoint, au sens strict.

Depuis la loi du 11 juillet 1975, la nullité du mariage peut dorénavent être demandée en cas d’erreur sur les qualités essentielles de la personne, et non plus seulement d’erreur sur la personne.

Que faut-il entendre par là ?

* Le passé pénal du marié : T G I Paris, 23 mars 1982 ;

* La santé mentale du conjoint : T G I Rennes, 9 novembre 1976 ;

* Les qualités sexuelles du conjoint : T G I Lille, 5 déc. 2001 ;

* La séropositivité d’une épouse : T G I Dinan, 4 avril 2006 ;

* L’activité d’Escort Girl de l’épouse qui est cachée au mari rencontré sur Internet : CA Nîmes, 8 février 2012, N° 10/05679

B/ : Un arrêt discutable en pratique

1- Un ministère public bien changeant

Devant le TGI de Lille, on rappelle qu’il s’en était remis à justice, sans s’opposer formellement à la demande de nullité formée par Monsieur X.

Cette position de neutralité est généralement adoptée lorsque la demande ne viole aucune règle d’ordre public.

Devant le retentissement provoqué par le jugement dans l’opinion publique, voilà qu’il change d’avis, interjette appel de la décision, s’oppose très certainement à la transcription de la nullité prononcée (puisque l’exécution provisoire avait été ordonnée), et demande la réformation de la décision du TGI de Lille du 1er avril 2008.

2- Des époux mariés malgré eux

Les deux époux, sont obligés de demeurer mariés.

Contre leur gré.

De manière paradoxale, une cour d’appel a marié de force deux personnes.

Au nom notamment de la liberté des femmes à disposer de leur corps !

Le choix ultime qui leur reste, c’est le divorce et ses conséquences personnelles et pécuniaires, quand ces époux demandaient une annulation de leur mariage, effacement rétroactif de celui-ci.

Plan B par Cédric

I. La détermination de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne

A- L’exigence d’une erreur sur les qualités essentielles de l’épouse

B – L’inexistence d’une erreur sur les qualités essentielles de l’épouse

II. L’appréciation de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne

A – La redéfinition de l’ordre public matrimonial

L’appréciation de l’erreur relève du contrôle de l’OP Passage d’un ordre public de direction à un ordre public de protection

B- La dénégation d’une approche contractuelle du mariage

Plan C par Aurélien (rédigé)

I) L’incertitude sur le mensonge comme fondement réel

A) L’ambiguïté de l’argument relatif à la sincérité

1) Le doute sur la sincérité

L’époux insiste sur le fait qu’il estime que c’est le mensonge de son épouse qui constitue, à son sens, une cause d’annulation du mariage. Il évince donc le problème de la virginité qui n’a été que l’occasion de la découverte du mensonge.

Cette précision importe car elle met en avant un argument moins critiquable et susceptible d’emporter l’adhésion du juge. Dans cette hypothèse, le contexte culturel et social a toute son importance.

Si le doute subsiste c’est que le mensonge est un argument plus solide si on opère un rapport d’analogie avec les obligations du mariage. L’article 212 du Code civil dispose que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». La notion de sincérité, d’honnêteté pourrait bien s’intégrer à cette quadrilogie, bien plus en tout cas que celle, factuelle et accessoire, de virginité. Cela se déduit du fait que la sincérité est susceptible d’être considérée comme incluse dans la notion de respect voire de fidélité (en un sens moral), ce qui n’est pas le cas de la virginité qui n’est pas spécifiquement corrélative d’une des obligations existantes.

2) Limite de la preuve

La preuve se situe d’abord sur la question de savoir si l’objet de la qualité essentielle est la virginité ou le mensonge. A ceci, il est bien difficile de répondre.

Ensuite, l’épouse conteste les preuves apportées au soutien des prétentions du mari. D’une part, « l’attestation rédigée par le père de M. X ne relate aucun fait propre à éclairer le débat » ; d’autre part, « les deux attestations rédigées par des proches de M. X […] ne relatent aucun fait que les témoins auraient constaté personnellement et directement pendant la période ayant précédée le mariage ».

Le problème est celui de savoir si cette subtilité est pertinente, valable et sérieuse ou s’il ne s’agit que d’un détournement argumentatif des règles relatives à l’annulation du mariage pour aboutir au résultat souhaité. Le constat est clair, aucune vérité ne s’impose si ce n’est celle, relative et partiale, de celui qui invoque à la fois un fait et recherche une conséquence attachée à ce fait. Mais sous un autre angle, le piège se referme sur lui-même qui doit prouver ses propres allégations (article 1341) sans pouvoir asseoir de preuves sur autre chose que ses dires.

En soi, la preuve de la virginité est bien difficile, ce qui rend annexe le problème de la preuve. Quant à la confiance réciproque, elle est « sans portée sur la validité de l’union ».

B) L’ambiguïté de l’argument relatif à la qualité essentielle

1) Le vice du consentement par l’erreur

L’élément fondamental du mariage est le consentement qui doit être réel. En vertu de l’article 146 du Code civil « il n’y a point de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ». Ainsi, lorsque le consentement n’est pas réel, le mariage peut être annulé puisque l’un de ses éléments constitutifs fait défaut. Le consentement peut être vicié par erreur, dol ou violence.

L’article 180 alinéa 2 du Code civil dispose que «s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ». C’est sur ce fondement que se place l’époux.

La jurisprudence Berthon (1862) est un exemple classique de la conception de l’erreur sur une qualité essentielle à l’époque. Ainsi, il s’agissait principalement de l’erreur la personne ou sur l’identité de la personne.

Consécutivement, on a assisté au 20e siècle à un changement vers un assouplissement de l’erreur sur la qualité essentielle. Ainsi, la qualité de divorcé (Civ. 1e, 2 décembre 1997), de prostituée (TGI Paris, 13 février 2001), l’aptitude à avoir des relations sexuelles « normales » (Paris, 26 mars 1982) ou l’état de santé (TGI Rennes, 9 novembre 1976) sont autant de cas pour lesquels l’annulation du pariage a été prononcée au motif d’une erreur sur une qualité essentielle. Cet ensemble chamarré de solutions illustre la difficulté de la détermination d’une qualité essentielle, vouée à évoluer sur les routes sinueuses de l’histoire culturelle et juridique.

2) Les approches objectives et subjectives

La notion de qualité essentielle s’intègre dans une grille d’analyse qui distingue une approche objective et une approche subjective. Le choix de l’une ou l’autre des conceptions révèle, en un sens, la définition du mariage comme acte juridique ou comme institution.

Selon l’approche subjective de la qualité essentielle (prônée par l’époux), cette dernière est déterminée par ce qu’ont voulu les parties en présence, ce qu’elles estiment être essentiel. C’est la volonté qui conditionne l’essentialité. Cette approche « psychologisante » permet une grande souplesse puisque l’un des époux peut invoquer ce que lui-même estime essentiel indépendamment de tout contexte historique, social et culturel. L’erreur peut ainsi porter tant sur la virginité que sur le mensonge à partir du moment où l’époux considère qu’ils ont été les facteurs essentiels ayant emporté son consentement et sans lesquels il n’aurait pas contracté.

Selon l’approche objective, la qualité essentielle sort de l’esprit de l’époux et s’impose à lui comme une valeur extérieure. Ici, c’est la considération d’un mariage comme institution qui est valorisée. C’est la position de la Cour d’appel qui évite ainsi, par cette solution, une réduction des règles du mariage aux règles du droit des obligations. Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler indirectement la définition du mariage.

II) La certitude relative sur la virginité comme qualité non essentielle

A) Le rejet de l’argument du mensonge sur la non virginité

1) Appréciation de l’argument d’espèce

En l’espèce, le TGI a prononcé l’annulation du mariage, ce qui implique une vision plus contractualiste du mariage, vu comme un contrat dont la simple volonté commune peut éteindre les obligations créées par cette même volonté commune initiale. La Cour d’appel de Douai, quant à elle, favorise une définition du mariage comme institution. En effet, pour elle, la virginité « n’est pas une qualité essentielle ». On ne peut s’empêcher de qualifier de circonstancielles ces solutions, bien que celle de la Cour d’appel permet, en toute logique, de renforcer l’idée de mariage et de ne pas la réduire à la volonté. C’est peut être l’apport principal de l’arrêt que de poser, une nouvelle fois, la définition du mariage. Elle implique des règles d’ordre public propre à fortifier le mariage. Mais, comparativement à une jurisprudence qui a admis, par exemple, la qualité de divorcé comme qualité essentielle, on peut s’interroger sur la pertinence de la solution retenue en l’espèce. En effet, ces deux qualités sont susceptibles d’être placées sur un même plan dont pourtant on aurait accordé un régime différent par le prononcé, dans un cas non dans l’autre, de la nullité du mariage.

2) L’absence d’incidence sur la vie matrimoniale

Rapportant la question sur la notion de qualité essentielle, il s’agit d’établir des « critères » propres à savoir à partir de quand on est en présence d’une qualité essentielle ou non. La Cour d’appel indique que « la virginité […] n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale ». Ainsi, l’incidence sur la vie matrimoniale serait le critère, si ce n’est plutôt un critère, pour déterminer ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Là encore, la critique est possible mais elle se réfère à deux structures de pensée différentes. D’une part, et c’est le choix qu’implique la formulation de la Cour d’appel, on procède en fonction d’une logique conséquentialiste selon laquelle les conséquences prévisibles, selon l’ordre de la raison, permettent de remonter inductivement aux principes constitutifs fondamentaux, c’est-à-dire, dans un langage juridique, aux qualités essentielles. D’autre part, la logique a priori pose immédiatement ce qui est essentiel et déduit les conséquences attachées aux principes constitutifs. Sous cet angle, et relativement à l’importance d’un cadre tant historique que culturel, la première voie, empruntée par la Cour d’appel est la plus pragmatique même si elle implique une relativité.

B) Le rejet de l’annulation du mariage

1) Le maintien de l’union maritale

Paradoxalement, la Cour d’appel maintient le lien conjugal quand bien même les deux époux souhaitaient la rupture du lien. Devant le TGI de Lille, le ministère public s’en était remis à justice, sans s’opposer formellement à la demande de nullité formée par Monsieur X. Cette position de neutralité est généralement adoptée lorsque la demande ne viole aucune règle d’ordre public. Devant le retentissement provoqué par le jugement dans l’opinion publique, voilà qu’il change d’avis, interjette appel de la décision, s’oppose très certainement à la transcription de la nullité prononcée (puisque l’exécution provisoire avait été ordonnée), et demande la réformation de la décision du TGI de Lille du 1er avril 2008.

Cet état de fait confirme le caractère finalement circonstanciel de la solution qui aurait pu être tout autre sans la présence des médias, ne serait-ce que parce que la Cour d’appel de Douai n’aurait pas été saisie. Sans décrédibiliser l’arrêt, sa portée est donc moindre car sa solution n’est pas exempte de doutes.

2) La possibilité du divorce

Le parcours des « futurs ex -époux » ne s’arrête pas là car le divorce permet de mettre un terme à leur union. Si la nullité implique la rétroactivité, tel n’est pas le cas du divorce qui n’est opérant que pour l’avenir. Les implications juridiques ne sont pas fictives non plus car le divorce implique des conséquences tant patrimoniales qu’extra-patrimoniales. La portée de la répartition dépend tout de même d’une part du régime matrimonial choisit et d’autre part du temps effectif de l’union favorable à l’achat de plus ou moins de biens.

Commentaire Arret du 6 octobre 2011

Commentaire d’arrêt : Civ. 1ère, 6 octobre 2011 : Mme B c/ Le Point et a.

Par Maître Jean-Marie TENGANG

Chargé d’Enseignement

Faits :

Pendant près d’un an à compter de mai 2009, le maître d’hôtel de Mme B a capté et enregistré les conversations qu’elle avait dans la salle de son hôtel particulier en présence de son gestionnaire de fortune et de Monsieur Ba. Ces enregistrements ont été réalisés à l’insu des personnes concernées.

Des extraits de ces enregistrements ont été publiés par le magazine Le Point dans ses éditions des 17 juin et 1er juillet 2010, ainsi que sur son site Internet.

Procédure

Estimant que les publications des extraits de ces enregistrements portaient atteinte à leur vie privée, les victimes assignèrent en référé la société d’exploitation du magazine, le directeur de la publication et le journaliste afin d’obtenir le retrait des transcriptions du site internet et l’interdiction de toute nouvelle publication des retranscriptions et la publication d’un communiqué judiciaire.

Par arrêt du 23 juillet 2010, la Cour d’Appel de Paris les déboute de leurs demandes.

Sur la forme, elle considère en effet que la publication des enregistrements occultes ne constitue pas un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile, ce qui exclut l’utilisation de la procédure de référé.

Sur le fond, la Cour se réfère aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal qui répriment les atteintes à l’intimité de la vie privée d’autrui en raison notamment de l’enregistrement de la voix d’une personne. Pour en exclure l’application au cas particulier, elle s’attache au fait que le contenu des propos retranscrits est «de nature professionnelle et patrimoniale» et ne relèvent donc pas de l’intimité de la vie privée. De plus, elle juge que les propos concernant «la principale actionnaire de l’un des premiers groupes industriels français, dont l’activité et les libéralités font l’objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public» ont suscité de nombreux commentaires publics, de sorte que leur divulgation relève de la légitime information du public.

Le pourvoi formé contre cet arrêt reproche à la Cour la violation des articles 226-1, 226-2 du Code pénal, et 809 du CPC.

Problème juridique :

La question débattue en l’espèce revêt une extrême complexité puisqu’elle invite à caractériser le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée indépendamment de toute preuve. Autrement dit, il s’agissait pour la cour de cassation de dire si  au regard de l’article 226-2 du code pénal, le fait de capter, enregistrer ou transmettre  des conversations privées sans l’autorisation de leur auteur, est il constitutif du délit d’atteinte à l’intimité privée ?

Réponse de la cour de cassation : La chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juillet 2010, pour mauvaise application des textes visés.

Elle affirme clairement que « constitue une atteinte à l’intimité de la vie privée, que ne légitime pas l’information du public, la captation, l’enregistrement ou la transmission de conversations tenus à titre privé ou confidentiel, sans le consentement de leur auteur».

Annonce du plan

Elle réaffirme ainsi la primauté de la protection de la vie privée sur la liberté d’information, et s’attache, pour apprécier si les propos relèvent ou non de l’intimité de la vie privée, aux conditions dans lesquelles les paroles ont été prononcées, sans considération de leur contenu (I). Ce faisant, elle élargit le champ de protection de la vie privée, puisqu’elle exclut que l’information du public puisse justifier la retranscription des propos tenus (II).

I- UNE REAFFIRMATION DE LA SPHERE DE LA VIE PRIVEE

A/ Résultant du lieu de captation des enregistrements

1- Il s’agit d’un lieu privé

La Cour de Cassation définit le lieu privé comme « l’endroit n’étant ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l’occupe par opposition à un lieu accessible à tous » (Cass. Crim. 28 novembre 2006, n°06-81.200).

Dans un arrêt du 4 février 2009, la Cour d’Appel d’Amiens retenait cette acception de la vie privée, en jugeant que le fait pour un journaliste d’avoir filmé le déroulement d’un délibéré de Cour d’Assises de manière indirecte en filmant le reflet sur une vitre extérieure était constitutif d’une atteinte à l’intimité de la vie privée et donc du délit prévu par les dispositions des articles 226-1 et 226-2 du Code Pénal.

2- L’auteur de la captation est de surcroît non convié

L’auteur de la captation est un tiers aux réunions au cours desquelles les propos captés ont été échangés.

Il s’agit d’une circonstance qui renforce le caractère privé des propos tenus, et captés.

La solution n’aurait pas changé si elle était conviée et avait divulgué les propos tenus sans le consentement des autres protagonistes

B/ Résultant de l’absence de consentement des intéressés

1- Clandestinité des enregistrements

Les auteurs des conversations ne savaient pas qu’elles étaient enregistrées

Peut être assimilé au problème de la loyauté de la preuve en matière d’écoutes téléphoniques.

On sait que ces enregistrements, réalisés à l’insu du correspondant, constituent une atteinte à sa vie privée, et dès lors, ne peuvent être produits comme moyens de preuve.

En ce sens, Soc. : 29 janvier 2008, Mme P. c. Société Norbert Dentressangle logistics, Pourvoi n° X 06-45.814 : Dès lors que l’enregistrement de la conversation téléphonique a été effectué à l’insu de son correspondant, le procédé est déloyal et rend la preuve ainsi obtenue irrecevable en justice.

2- Absence de consentement à la divulgation des enregistrements

La question du consentement se pose a postériori.

La Cour reproche aux défendeurs au pourvoi, d’avoir divulgué des extraits des enregistrements, sans demander l’autorisation des personnes enregistrées.

La solution est classique, et rejoint ici la problématique du droit de l’image.

Y aurait-il atteinte à la vie privée si les personnes enregistrées, avaient consenties à la divulgation des enregistrements ?

II- UNE INTERPRETATION HEGEMONIQUE DE LA VIE PRIVEE

A/ L’absence de justificatifs de la primauté de la vie privée sur le droit à l’information du public

1- Quid du débat sur la nature des conversations :

Informations patrimoniales et financières de la principale actionnaire de l’un des premiers groupes industriels français, dont l’activité et les libéralités font l’objet de très nombreux commentaires publics

2- Quid du débat entre liberté d’information et protection de la vie privée

Le droit du public à connaître les tribulations de Mme BETTENCOURT ne l’emporte-t-il pas sur les impératifs de protection de sa vie privée ?

A comparer avec la position de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui fait prévaloir la liberté d’expression lorsque le sujet est une question d’intérêt général (CEDH 7 juin 2007, n°1914/02 : Dupuis et autres c. France).

B/ Une solution à portée limitée

1- Il s’agit d’une procédure de référé

Le trouble manifestement illicite prévu à l’article 809 du CPC permettait au juge de prendre toutes mesures pour le faire cesser.

L’édiction de mesures conservatoires propres à faire cesser le trouble, dispensait de définir avec précision la vie privée dont l’intimité était violée.

Une procédure au fond n’aurait admis l’atteinte à la vie privée, qu’en faisant la balance entre liberté d’expression et protection de la vie privée, notamment en prouvant :

Le caractère strictement privé des conversations enregistrées ;

L’absence du droit du public à en connaître.

2- La solution diverge de celle retenue par la Chambre Criminelle de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 31 janvier 2012 (N° de pourvoi: 11-85464), la chambre criminelle de la Cour de cassation a validé les enregistrements clandestins de conversations téléphoniques de Liliane BETTENCOURT avec ses interlocuteurs (qui ont précisément donné lieu à l’arrêt commenté).

La Cour dispose «qu’en se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision, dès lors que les enregistrements contestés ne sont pas en eux-mêmes des actes ou des pièces de l’information, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, et comme tels, susceptibles d’être annulés, mais des moyens de preuve qui peuvent être discutés contradictoirement, et que la transcription de ces enregistrements, qui a pour seul objet d’en matérialiser le contenu, ne peut davantage donner lieu à annulation « .

La Cour rappelle qu’un particulier peut se prévaloir d’une preuve susceptible d’être illicite, notamment de porter atteinte à la vie privée d’une personne, dans la mesure où elle peut être discutée de manière contradictoire pendant la procédure.

Ces enregistrements effectués par un particulier et non par l’autorité publique à l’insu de la personne constituent des pièces à conviction. L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui avait validé ces enregistrements et la procédure qui en a résulté sont réguliers.

Les enquêtes diligentées à Bordeaux peuvent donc se poursuivre.

La vie privée est une notion à contenu variable, selon que l’on utilise la procédure civile ou la procédure pénale.

Autre Plan (Proposé par Sabine et Aymar)

I- L’existence de l’atteinte à l’intimité de la vie privée

A Une uniformisation jurisprudentielle

1 Un principe constant

2 L’alignement de la jurisprudence civile sur la jurisprudence criminelle

B La Caractérisation de l’atteinte

1 La captation

2 L’enregistrement ou la transmission

II- La preuve de l’atteinte à l’intimité de la vie privée

A L’ illicéité du trouble

1 L’action en référé : preuve du trouble manifestement illicite (réussite de l’action, en l’espèce)

2 Protection jurisprudentielle des conversations dans les relations professionnelles

B L’ ineffectivité du contenu de la conversation enregistrée

1 La dénaturation de l’article 226-1cp opérée par les juges du fond

2 Le risque d’une interprétation maximaliste de l’article 226-1 cp