Commentaire d’arrêt : COUR D’APPEL DE DOUAI, 17 novembre 2008
Par Jean-Marie TENGANG
Chargé d’Enseignement – Avocat à la Cour
Faits :
Monsieur X a épousé Mlle Y.
Il découvre que son épouse n’est pas vierge lors de la nuit de noces.
Il estime avoir été trompé sur le passé sentimental de sa femme.
Procédure :
Il saisit alors le TGI de Lille pour obtenir la nullité du mariage en raison de l’erreur sur les qualités essentielles de son épouse, en l’espèce son absence de virginité.
Sans se justifier, sans aucun autre argument mais ans passer aveu, sa femme ne s’oppose pas à cette demande.
Le TGI de Lille fait y fait droit, et prononce la nullité du mariage intervenu entre les parties pour erreur sur les qualités essentielles de l’épouse.
Un appel est formé contre cette décision par le Ministère Public.
Arguments des parties.
Au soutien de son appel, le Ministère Public tire argument de ce que le mariage est une institution, qu’il s’agit d’une matière d’ordre public où les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits.
Dès lors, il ne peut être annulé à la guise des époux, hors les cas de nullité reconnus.
Monsieur X, premier intimé, soutient une série d’arguments :
• En l’absence de cohabitation entre les époux, ces derniers se seraient livrés à la cérémonie de mariage dans un but étranger à l’union matrimonial ;
• Au visa de l’article 180 alinéa 2, et sans qu’il soit véritablement question de dire si la virginité de Mademoiselle Y est une qualité essentielle du mariage, force est de constater :
- Qu’elle aurait menti sur son passé sentimental et sur sa virginité, provoquant chez son mari une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur sa sincérité ;
- Cette virginité était pour Monsieur X une espérance ;
- Tous ces éléments créent un déficit de confiance, de fidélité réciproque et de sincérité qui peuvent être considérées comme des qualités essentielles attendus par chacun des conjoints, et dont l’absence justifie la nullité du mariage.
Mademoiselle Y pour sa part conteste avoir menti, puisque sa vie sentimentale passée n’avait pas fait l’objet de débats avec son futur mari. Mais ne s’oppose pas à la demande de nullité du mariage.
Problème Juridique
La question posée à la Cour d’Appel de Douai est de savoir si le mensonge sur le passé sentimental d’un conjoint, à le supposer avéré, constitue une cause de nullité du mariage pour erreur sur ses qualités essentielles.
Par l’arrêt commenté, la Cour d’Appel de DOUAI répond par la négative à cette question. Après avoir constaté que Monsieur X n’apportait pas la preuve du mensonge allégué, la Cour conclut que la virginité n’est pas une qualité essentielle de l’un ou l’autre des conjoints, de sorte que son absence n’a aucune incidence sur la vie matrimoniale.
Annonce de plan
La Cour écarte d’abord le mensonge comme cause de nullité du mariage, faute pour le demandeur d’en apporter la preuve (I). Ensuite, la Cour juge comme inopérante l’erreur sur la virginité de la femme, laquelle n’est pas une qualité essentielle du mariage (II).
I- L’absence de preuve du mensonge
La règle en la matière est résumée par la fameuse phrase de LOYSEL « En mariage, trompe qui peut ».
Faute pour Mlle Y de faire l’aveu du mensonge allégué par son mari, il appartenait à ce dernier de rapporter la preuve du mensonge.
A/ Examen des preuves produites
1- Les attestations versées aux débats
Elles sont rédigées par le père et par les proches (frère, témoin de mariage) de Monsieur X.
Mademoiselle Y, tout en indiquant ne pas s’opposer à la demande de nullité, n’a pas fait d’aveu de mensonge.
2- Preuves indirectes.
Absence de preuve objective du mensonge
Pour la Cour d’Appel, il s’agit de preuves indirectes, dès lors qu’elles ne font que reproduire les propos que les époux auraient tenus ou des confidences qu’ils auraient faites après le mariage.
Elles ne peuvent emporter la conviction de la Cour
B/ Pertinence des preuves produites
1- L’attitude équivoque de l’époux
Les propres attestations produites à son dossier par Monsieur X révélaient que c’était lui-même qui, faisant une question de principe de la «trahison» dont il s’estimait victime, a décidé de ne pas poursuivre l’union et a demandé à ses proches de raccompagner l’épouse chez ses parents».
En d’autres termes, le défaut d’intention matrimoniale, cause de nullité, doit exister chez chacun des époux, ou être invoqué par celui qui avait l’intention de se marier à l’encontre de celui dont l’intention faisait défaut. Or, en l’espèce, les deux époux avaient cette intention.
2- Une preuve sans réel intérêt
Pour la Cour, même la preuve du mensonge n’aurait pas conduit à la nullité du mariage.
Le mariage est posé ici comme une institution.
Les règles d’ordre public interdissent aux conjoints de disposer librement de cette institution
I- La portée du mensonge
L’arrêt est justifié en droit, mais critiquable en pratique
A/ Absence de pertinence du mensonge sur la virginité
1- Le mensonge allégué n’et pas une cause de nullité du mariage
Monsieur X soutient au visa de l’article 180 alinéa 2, que Mademoiselle Y
• Aurait menti sur son passé sentimental et sur sa virginité, provoquant chez son mari une erreur sur la confiance qu’il pouvait avoir en sa future épouse et sur sa sincérité ;
• Cette virginité était pour Monsieur X une espérance ;
• Tous ces éléments créent un déficit de confiance, de fidélité réciproque et de sincérité qui peuvent être considérées comme des qualités essentielles attendus par chacun des conjoints, et dont l’absence justifie la nullité du mariage.
Pour la Cour, il ne s’agit pas d’une cause de nullité du mariage «le mensonge qui ne porte pas sur une qualité essentielle n’est pas un fondement valide pour l’annulation du mariage.
Tel est particulièrement le cas quand le mensonge prétendu aurait porté sur la vie sentimentale passée de la future épouse et sur sa virginité, qui n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale. Ainsi la prétendue atteinte à la «confiance réciproque» est-elle sans portée quant à la validité de l’union ».
On notera que dans son argumentaire, Monsieur X fait référence à des éléments de fidélité réciproques qui ne sauraient préexister au mariage.
2- Cas de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles.
La jurisprudence BERTON (Cass. Ch. Réun. 24 avril 1862, S. 1862, 1, 342) avait posé comme règle que le mariage ne peut être annulé que lorsque l’erreur porte sur la personne du conjoint, au sens strict.
Depuis la loi du 11 juillet 1975, la nullité du mariage peut dorénavent être demandée en cas d’erreur sur les qualités essentielles de la personne, et non plus seulement d’erreur sur la personne.
Que faut-il entendre par là ?
* Le passé pénal du marié : T G I Paris, 23 mars 1982 ;
* La santé mentale du conjoint : T G I Rennes, 9 novembre 1976 ;
* Les qualités sexuelles du conjoint : T G I Lille, 5 déc. 2001 ;
* La séropositivité d’une épouse : T G I Dinan, 4 avril 2006 ;
* L’activité d’Escort Girl de l’épouse qui est cachée au mari rencontré sur Internet : CA Nîmes, 8 février 2012, N° 10/05679
B/ : Un arrêt discutable en pratique
1- Un ministère public bien changeant
Devant le TGI de Lille, on rappelle qu’il s’en était remis à justice, sans s’opposer formellement à la demande de nullité formée par Monsieur X.
Cette position de neutralité est généralement adoptée lorsque la demande ne viole aucune règle d’ordre public.
Devant le retentissement provoqué par le jugement dans l’opinion publique, voilà qu’il change d’avis, interjette appel de la décision, s’oppose très certainement à la transcription de la nullité prononcée (puisque l’exécution provisoire avait été ordonnée), et demande la réformation de la décision du TGI de Lille du 1er avril 2008.
2- Des époux mariés malgré eux
Les deux époux, sont obligés de demeurer mariés.
Contre leur gré.
De manière paradoxale, une cour d’appel a marié de force deux personnes.
Au nom notamment de la liberté des femmes à disposer de leur corps !
Le choix ultime qui leur reste, c’est le divorce et ses conséquences personnelles et pécuniaires, quand ces époux demandaient une annulation de leur mariage, effacement rétroactif de celui-ci.
Plan B par Cédric
I. La détermination de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne
A- L’exigence d’une erreur sur les qualités essentielles de l’épouse
B – L’inexistence d’une erreur sur les qualités essentielles de l’épouse
II. L’appréciation de l’erreur sur les qualités essentielles de la personne
A – La redéfinition de l’ordre public matrimonial
L’appréciation de l’erreur relève du contrôle de l’OP Passage d’un ordre public de direction à un ordre public de protection
B- La dénégation d’une approche contractuelle du mariage
Plan C par Aurélien (rédigé)
I) L’incertitude sur le mensonge comme fondement réel
A) L’ambiguïté de l’argument relatif à la sincérité
1) Le doute sur la sincérité
L’époux insiste sur le fait qu’il estime que c’est le mensonge de son épouse qui constitue, à son sens, une cause d’annulation du mariage. Il évince donc le problème de la virginité qui n’a été que l’occasion de la découverte du mensonge.
Cette précision importe car elle met en avant un argument moins critiquable et susceptible d’emporter l’adhésion du juge. Dans cette hypothèse, le contexte culturel et social a toute son importance.
Si le doute subsiste c’est que le mensonge est un argument plus solide si on opère un rapport d’analogie avec les obligations du mariage. L’article 212 du Code civil dispose que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». La notion de sincérité, d’honnêteté pourrait bien s’intégrer à cette quadrilogie, bien plus en tout cas que celle, factuelle et accessoire, de virginité. Cela se déduit du fait que la sincérité est susceptible d’être considérée comme incluse dans la notion de respect voire de fidélité (en un sens moral), ce qui n’est pas le cas de la virginité qui n’est pas spécifiquement corrélative d’une des obligations existantes.
2) Limite de la preuve
La preuve se situe d’abord sur la question de savoir si l’objet de la qualité essentielle est la virginité ou le mensonge. A ceci, il est bien difficile de répondre.
Ensuite, l’épouse conteste les preuves apportées au soutien des prétentions du mari. D’une part, « l’attestation rédigée par le père de M. X ne relate aucun fait propre à éclairer le débat » ; d’autre part, « les deux attestations rédigées par des proches de M. X […] ne relatent aucun fait que les témoins auraient constaté personnellement et directement pendant la période ayant précédée le mariage ».
Le problème est celui de savoir si cette subtilité est pertinente, valable et sérieuse ou s’il ne s’agit que d’un détournement argumentatif des règles relatives à l’annulation du mariage pour aboutir au résultat souhaité. Le constat est clair, aucune vérité ne s’impose si ce n’est celle, relative et partiale, de celui qui invoque à la fois un fait et recherche une conséquence attachée à ce fait. Mais sous un autre angle, le piège se referme sur lui-même qui doit prouver ses propres allégations (article 1341) sans pouvoir asseoir de preuves sur autre chose que ses dires.
En soi, la preuve de la virginité est bien difficile, ce qui rend annexe le problème de la preuve. Quant à la confiance réciproque, elle est « sans portée sur la validité de l’union ».
B) L’ambiguïté de l’argument relatif à la qualité essentielle
1) Le vice du consentement par l’erreur
L’élément fondamental du mariage est le consentement qui doit être réel. En vertu de l’article 146 du Code civil « il n’y a point de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ». Ainsi, lorsque le consentement n’est pas réel, le mariage peut être annulé puisque l’un de ses éléments constitutifs fait défaut. Le consentement peut être vicié par erreur, dol ou violence.
L’article 180 alinéa 2 du Code civil dispose que «s’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage ». C’est sur ce fondement que se place l’époux.
La jurisprudence Berthon (1862) est un exemple classique de la conception de l’erreur sur une qualité essentielle à l’époque. Ainsi, il s’agissait principalement de l’erreur la personne ou sur l’identité de la personne.
Consécutivement, on a assisté au 20e siècle à un changement vers un assouplissement de l’erreur sur la qualité essentielle. Ainsi, la qualité de divorcé (Civ. 1e, 2 décembre 1997), de prostituée (TGI Paris, 13 février 2001), l’aptitude à avoir des relations sexuelles « normales » (Paris, 26 mars 1982) ou l’état de santé (TGI Rennes, 9 novembre 1976) sont autant de cas pour lesquels l’annulation du pariage a été prononcée au motif d’une erreur sur une qualité essentielle. Cet ensemble chamarré de solutions illustre la difficulté de la détermination d’une qualité essentielle, vouée à évoluer sur les routes sinueuses de l’histoire culturelle et juridique.
2) Les approches objectives et subjectives
La notion de qualité essentielle s’intègre dans une grille d’analyse qui distingue une approche objective et une approche subjective. Le choix de l’une ou l’autre des conceptions révèle, en un sens, la définition du mariage comme acte juridique ou comme institution.
Selon l’approche subjective de la qualité essentielle (prônée par l’époux), cette dernière est déterminée par ce qu’ont voulu les parties en présence, ce qu’elles estiment être essentiel. C’est la volonté qui conditionne l’essentialité. Cette approche « psychologisante » permet une grande souplesse puisque l’un des époux peut invoquer ce que lui-même estime essentiel indépendamment de tout contexte historique, social et culturel. L’erreur peut ainsi porter tant sur la virginité que sur le mensonge à partir du moment où l’époux considère qu’ils ont été les facteurs essentiels ayant emporté son consentement et sans lesquels il n’aurait pas contracté.
Selon l’approche objective, la qualité essentielle sort de l’esprit de l’époux et s’impose à lui comme une valeur extérieure. Ici, c’est la considération d’un mariage comme institution qui est valorisée. C’est la position de la Cour d’appel qui évite ainsi, par cette solution, une réduction des règles du mariage aux règles du droit des obligations. Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler indirectement la définition du mariage.
II) La certitude relative sur la virginité comme qualité non essentielle
A) Le rejet de l’argument du mensonge sur la non virginité
1) Appréciation de l’argument d’espèce
En l’espèce, le TGI a prononcé l’annulation du mariage, ce qui implique une vision plus contractualiste du mariage, vu comme un contrat dont la simple volonté commune peut éteindre les obligations créées par cette même volonté commune initiale. La Cour d’appel de Douai, quant à elle, favorise une définition du mariage comme institution. En effet, pour elle, la virginité « n’est pas une qualité essentielle ». On ne peut s’empêcher de qualifier de circonstancielles ces solutions, bien que celle de la Cour d’appel permet, en toute logique, de renforcer l’idée de mariage et de ne pas la réduire à la volonté. C’est peut être l’apport principal de l’arrêt que de poser, une nouvelle fois, la définition du mariage. Elle implique des règles d’ordre public propre à fortifier le mariage. Mais, comparativement à une jurisprudence qui a admis, par exemple, la qualité de divorcé comme qualité essentielle, on peut s’interroger sur la pertinence de la solution retenue en l’espèce. En effet, ces deux qualités sont susceptibles d’être placées sur un même plan dont pourtant on aurait accordé un régime différent par le prononcé, dans un cas non dans l’autre, de la nullité du mariage.
2) L’absence d’incidence sur la vie matrimoniale
Rapportant la question sur la notion de qualité essentielle, il s’agit d’établir des « critères » propres à savoir à partir de quand on est en présence d’une qualité essentielle ou non. La Cour d’appel indique que « la virginité […] n’est pas une qualité essentielle en ce que son absence n’a pas d’incidence sur la vie matrimoniale ». Ainsi, l’incidence sur la vie matrimoniale serait le critère, si ce n’est plutôt un critère, pour déterminer ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Là encore, la critique est possible mais elle se réfère à deux structures de pensée différentes. D’une part, et c’est le choix qu’implique la formulation de la Cour d’appel, on procède en fonction d’une logique conséquentialiste selon laquelle les conséquences prévisibles, selon l’ordre de la raison, permettent de remonter inductivement aux principes constitutifs fondamentaux, c’est-à-dire, dans un langage juridique, aux qualités essentielles. D’autre part, la logique a priori pose immédiatement ce qui est essentiel et déduit les conséquences attachées aux principes constitutifs. Sous cet angle, et relativement à l’importance d’un cadre tant historique que culturel, la première voie, empruntée par la Cour d’appel est la plus pragmatique même si elle implique une relativité.
B) Le rejet de l’annulation du mariage
1) Le maintien de l’union maritale
Paradoxalement, la Cour d’appel maintient le lien conjugal quand bien même les deux époux souhaitaient la rupture du lien. Devant le TGI de Lille, le ministère public s’en était remis à justice, sans s’opposer formellement à la demande de nullité formée par Monsieur X. Cette position de neutralité est généralement adoptée lorsque la demande ne viole aucune règle d’ordre public. Devant le retentissement provoqué par le jugement dans l’opinion publique, voilà qu’il change d’avis, interjette appel de la décision, s’oppose très certainement à la transcription de la nullité prononcée (puisque l’exécution provisoire avait été ordonnée), et demande la réformation de la décision du TGI de Lille du 1er avril 2008.
Cet état de fait confirme le caractère finalement circonstanciel de la solution qui aurait pu être tout autre sans la présence des médias, ne serait-ce que parce que la Cour d’appel de Douai n’aurait pas été saisie. Sans décrédibiliser l’arrêt, sa portée est donc moindre car sa solution n’est pas exempte de doutes.
2) La possibilité du divorce
Le parcours des « futurs ex -époux » ne s’arrête pas là car le divorce permet de mettre un terme à leur union. Si la nullité implique la rétroactivité, tel n’est pas le cas du divorce qui n’est opérant que pour l’avenir. Les implications juridiques ne sont pas fictives non plus car le divorce implique des conséquences tant patrimoniales qu’extra-patrimoniales. La portée de la répartition dépend tout de même d’une part du régime matrimonial choisit et d’autre part du temps effectif de l’union favorable à l’achat de plus ou moins de biens.
Commentaire : Cour Appel Aix en Provence, 3 mai 2011
Faits : Monsieur G refuse d’honorer Madame B pendant de longues années de mariage.
Procédure : Dans le cadre de la procédure de divorce pour faute engagé par Madame B, Monsieur G est condamné par les premiers juges à payer à sa femme la somme de 10.000€ sur le fondement de 1382 du Code Civil en réparation du préjudice qu’elle a subi pendant plusieurs années en raison de l’abstinence sexuelle qu’il lui a imposée.
Trouvant cette condamnation injustifiée, Monsieur G interjette appel de la décision.
Arguments des parties : Au soutien de son appel, Monsieur nie l’absence totale de relations sexuelles, et reconnaît toutefois un espacement de celles-ci résultant de fatigue liée au travail et problèmes de santé.
Madame B demande la confirmation du jugement entrepris, et maintien l’absence totale de relations sexuelles.
Problème de droit : Madame B peut-elle obtenir réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil, d’un préjudice résultant d’une abstinence sexuelle imposée par son mari ?
Solution retenue : la Cour d’Appel confirme la décision du premier juge qui a attribué la somme de 10.000 € à Madame B en réparation du préjudice résultant d’une absence prolongée de relations sexuelles, Monsieur G ne justifiant pas de problèmes de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse.
L’article 1382 implique en effet que soit rapportée la preuve d’une faute qui résulte au cas particulier de l’abstinence forcée (I), et d’un préjudice qui en l’espèce reste bien mystérieux (II).
I. Une responsabilité pour abstinence forcée
A) Une obligation charnelle discrète
1) La pudeur du Code civil
Vision désincarnée du mariage, puisque la consommation du mariage n’y figure pas.
Certes, l’article 212 de ce code énonce au nombre des devoirs des époux celui de fidélité, lequel vise avant tout la fidélité sexuelle et, partant, l’existence de relations sexuelles entre époux.
De même, selon les dispositions de l’article 215 du Code civil, « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », laquelle, on le sait également, et pour reprendre Loysel, est entendue, notamment, au sens pudique de communauté de lit.
De même enfin, le refus du devoir conjugal peut être une cause de divorce. Il est rarement invoqué, le lit conjugal ayant été « le grand absent des débats »
2) La résurgence du droit canonique
Le mariage canonique est mort ! Vive le mariage canonique ?
En 2011, la consommation au sens du droit canon, soit l’acte charnel, serait-elle une condition de perfection du mariage, un mariage conclu, mais non consommé, étant valable, mais non parfait, et pouvant donc être dissous ?
Avec, en sus, la condamnation de l’époux non consommant au versement de dommages et intérêts à son conjoint… frustré ?
B) La faute : manquement avéré à l’obligation charnelle
1) Une jurisprudence rare, mais concordante
Quelques rares juges du fond avaient d’ores et déjà sanctionné le refus de relations sexuelles après le mariage :
En jugeant fautif M. Y pour « la quasi-absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, certes avec des reprises ponctuelles », la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a fait que consolider l’édifice jurisprudentiel.
2) L’absence d’exonération
Au cas particulier, Monsieur Y « ne justifiait pas de problème de santé le mettant dans l’incapacité totale d’avoir des relations intimes avec son épouse ».
Se pose la question d’une telle preuve. Elle est délicate compte tenu du caractère intime des faits allégués et du nécessaire respect de l’intimité de la vie privée des conjoints.
Seuls une expertise médicale, des témoignages, des indices tirés de la correspondance des époux entre eux ou avec des tiers, ou encore l’aveu semblent être recevables.
II. Une réparation équivoque
A) Quant à son contenu
1) Aucune évaluation de la part de Madame B
Il s’agit d’un préjudice moral, qui est en général difficile à fixer hors expertise.
Madame B ne le justifie pas au cas particulier.
À l’ère du culte de la performance sexuelle, encouragé par les médias et source de tant d’angoisses, des juges du fond ont cru pouvoir énoncer que « la moyenne relevée en général dans les couples français est d’un rapport par semaine » et ainsi oser élaborer une fréquence normative de l’acte sexuel conjugal… TI Saintes, 6 janv. 1992.
2) Aucune référence objective
Selon l’enquête, rendue publique en mars 2007, sur l’évolution du comportement sexuel des Français, intitulée Contexte de la sexualité en France, réalisée en 2006 par une équipe de chercheurs en sociologie, démographie et épidémiologie, notamment, de l’Inserm, de l’Ined, du CNRS, de l’INVS, et à l’initiative de l’agence nationale de recherches sur le Sida et les hépatites virales, la fréquence des rapports sexuels est de 8,7 par mois, identique pour les hommes et les femmes.
B) Quant aux modalités de réparation
1) L’impossibilité d’une réparation par équivalent
L’exclusion de la réparation par nature.
L’allocation d’une indemnité spécifique restait la seule solution.
2) L’octroi discutable de dommages et intérêts
Où on retrouve le caractère souverain de l’appréciation judiciaire de ce préjudice si spécifique.
En l’espèce, l’abstinence sexuelle a coûté à M. Y, dont le mariage aura donc duré vingt et un ans, la somme de 10 000 euros, soit celle de 1,3 euro par jour. Il est vrai, comme l’ont relevé les juges du fond, que le couple avait connu « des reprises ponctuelles » de relations sexuelles.
Le caractère modique, de cette condamnation pécuniaire serait-il dû à une certaine clémence judiciaire méridionale ?
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » : un époux abstinent pourrait être condamné à davantage au-dessus de la Loire, pour la simple raison qu’il y fait plus froid, et que les effets de l’abstinence forcée sont plus rudes.